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Critique de Tandarica


« Ni myope ni presbyte ! » Georges Banu nous propose des réflexions et des pistes de réflexion fort intéressantes, que résume si bien la phrase de Guy Freixe directeur de la collection « à la croisée des arts » et préfacier de cet ouvrage : « Le “même” et le “différent” pour retrouver ce qui perdure et se réjouir de ce qui se transforme ».

Nous avons ici, tout d'abord, (et je tiens à le souligner) un très bel objet livresque : un ouvrage édité avec le plus grand soin qui mentionne à la fin y compris les noms des correcteurs, qui comporte plusieurs photos de spectacles sur papier glacé et une belle couverture évocatrice précisément de cette dialectique de la permanence de la transformation, symbole de l'esprit du temps.

Je tiens aussi à préciser que dans les 275 pages rédigées dans un style à la fois élégant, érudit et néanmoins clair, je n'ai repéré qu'une seule coquille (minuscule imperfection qui rend le corpus de textes si attachant !) à la page 7 : le premier e de Georges manque.

Remarquable est également la structure de ses trente chapitres dont une moitié totalement inédite divisée en quatre parties comportant respectivement les titres « préliminaires théoriques », « défis esthétiques » « mutations pratiques » et « interrogations finales ».

Parmi les problématiques que l'auteur et critique de théâtre maîtrise à la perfection, j'ai beaucoup apprécié le questionnement sur l'exil et le metteur en scène : « Un écrivain et un musicien ne se confrontent pas aux mêmes écueils à l'étranger et ne sont pas appelés à surmonter des épreuves similaires. Il en va de même pour un sculpteur ou un plasticien guère dépendant des mots et de leur syntaxe… » (p. 213). Si « l'exil implique une douleur, un arrachement et un face-à-face sans concessions avec le contexte d'accueil érigé en destin » Georges Banu opère naturellement une « distinction entre l'exil comme condition, imposée ou décidée, mais toujours à long terme, et le fait de travailler à l'étranger pour honorer des contrats ». Parmi ce qu'il appelle « des héros singuliers » il évoque l'exemple du Roumain Andrei Șerban et d'autres de ses compatriotes avec la même lucidité : « La mouvance romaine fut reconnue, mais elle resta diffuse ! » ou « Les artistes roumains à l'étranger ne sont pas parvenus à imposer une école, à affirmer un style ou à dégager une identité » (p. 226).

La photo de l'auteur prise en mai 2022 devant « La Colonne sans fin » de Constantin Brancusi, à Târgi Jiu, en Roumanie, prend tout son sens grâce au texte « Le théâtre et ses mouvements rythmiques » : « La figure qui cristallise avec génie cette succession des losanges que j'assimile au processus alternatif propre à l'art occidental, c'est “La Colonne sans fin” de Brancusi qui la représente. Alors que je la regardais un jour, couché à son pied, elle s'est imposée comme graphe visuel qui relie le même et le différent. » (p. 28). La succession infinie des rhombes comme image de la répétition, Georges Banu nous « convie » à « l'intégrer » « dans l'art aussi bien que dans la vie ».

La même proximité entre l'auteur et son lecteur je l'ai ressentie à plusieurs reprises comme dans cet autre passage sur « Le Zeitgeist et l'âge » (p. 20) : « percevoir l'esprit du temps implique une certaine ouverture à ce qui advient, et cela se manifeste comme un symptôme de jeunesse » et de ce que j'ai éprouvé à la lecture des trois titres lus de cet auteur, son âme était restée éternellement jeune, malgré le poids des années, et de l'expérience théâtrale.

Beaucoup d'autres passages se lisent « à travers les lames » et leur pouvoir poétique, comme cette confession sur la « sécurité identitaire » que procure la langue, dans « Le mur lézardé des langues » : « à travers l'errance, la langue est la seule patrie intérieure ! Exilé de Roumanie, à l'heure du retour, vingt ans plus tard, à une kiosque de journaux, en parlant avec la marchande, j'ai éprouvé l'appartenance à l'identité première, identité confirmée par le maniement de la langue », ou bien cet autre aveu « le critique, de même que l'écrivain ou le metteur en scène avaient droit à la biographie et qu'il lui revenait, par honnêteté, d'en témoigner. le double mouvement d'un sujet qui change et d'un objet qui se modifie, d'un je inscrit dans le temps et d'une scène soumise aux métamorphoses entretient la vie du discours critique » (p. 251).

Une magnifique invitation à aimer le théâtre, que je conseille les yeux fermés.
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