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Critique de jcgarnier


J'ai abordé ce livre avec un état d'esprit gourmand, mis en appétit par la quatrième de couverture.
Les premiers chapitres m'ont fait craindre une tromperie.
Des phrase conçues comme des formules chocs un peu tape-à-l'oeil, le portrait caricatural d'une jeune femme pour laquelle, sacrilège à mes yeux, l'auteur-créateur n'a pas la moindre petite affection cachée. Pour couronner le tout, un héros-narrateur mou du genou, vague et incertain. Tout cela ne serait-il qu'un gargarisme de mots, une démonstration qui se voudrait éblouissante mais qui n'est que de pacotille ?
Je me suis arrêté et j'ai repris à zéro quelques heures plus tard. Peut-être n'étais-je pas assez réceptif ? Non, décidément non, cette mise en bouche ne me plaisait pas. Quand on traite des gens, je suis amateur de Yourcenar ou de Brassens, c'est-à-dire, dans un style ou dans un autre, de la touche élégante. Je prends un exemple :
« Sans faux espoir, la télé-réalité avait enfanté sa génération de décérébrés pour qu'en ce 11 juillet Mylène Bourdon - ce n'est pas moi qui l'invente - galope fièrement en tête de cet inquiétant cortège groupant tout un écosystème de fashion victimes en quête d'expansion. »
Ouf ! C'est dommage, le mépris ne nage qu'en surface.
Or, Barcella possède à coup sûr une sensibilité qui pourrait l'emmener bien plus profond.
Lorsque Chateaubriand décrit le cortège ramenant Louis XVI à Paris, on sent évidemment poindre une certaine désolation, mais il ne s'attache pas à le rendre plus laid ni ne se drape dans une attitude hautaine qui l'empêcherait de comprendre le monde comme il tourne, depuis toujours.
« … d'abord parurent des canons, sur lesquels des harpies, des larronnesses, des filles de joie montées à califourchon, tenaient les propos les plus obscènes et faisaient les gestes les plus immondes. Puis, au milieu d'une horde de tout âge et de tout sexe, marchaient à pied les gardes−du−corps, ayant changé de chapeaux, d'épées et de baudriers avec les gardes nationaux : chacun de leurs chevaux portait deux ou trois poissardes, sales bacchantes ivres et débraillées. »

Barcella s'écoute quelquefois un peu et il lui arrive de perdre la justesse des idées dans le vertige des mots ou l'amour de la formule. Et comme les mots ne sont pas toujours bien ajustés, on a quelquefois l'impression de faire Paris-Roubaix après avoir mangé un Saint-Honoré : ça peut rendre la lecture un peu lourde et cahotée, ce qui est un comble pour le poète.
« Fier comme un coq en pâte » Un coq en pâte est une personne confortablement installée dans une vie bien bordée : quel rapport avec la fierté ?
« Pour enfin dire oui en caressant ma joue avec délicatesse ». Sauf effet de style qui n'existe pas ici, la délicatesse va sans dire dans une caresse.
Cela peut parfois chasser la puissance d ‘évocation et freiner la plongée : « …Je me faisais discret à en longer les murs et pourfendais mon ombre pour ne pas retenir l'attention des passants. »
On longe les murs pour la discrétion, qu'apporte ici l'inversion ? Pourfendre son ombre ? Depuis quand fendre son ombre de haut en bas évite le regard des passants ?
Bon, lu un peu vite, on saisit le sens, mais si l'on ralentit, c'est comme du bruit là où on attendait une mélodie.

J'avais donc du mal avec le rythme des phrases assez répétitif, les approximations pour faire la rime ou terminer l'alexandrin et pour tout dire même avec l'histoire un peu bluette. C'est alors que je me suis souvenu que Barcella écrit des chansons. En les écoutant, j'ai compris ce qui me gênait. L'auteur parsème d'alexandrins le texte de son livre, en souvenir peut-être de la chanson du prologue. Il triture les mots, les fait sortir de ses mains comme un magicien, quitte à les employer pour leur couleur ou leur sonorité plutôt que pour leur sens résonnant. Ce roman lui-même est comme une grande chanson étirée.
Je ne m'étais jamais posé la question, mais je le sais maintenant : un livre n'est pas un chanson et inversement. On n'y aborde pas les même thèmes, on n'écrit pas de la même manière, on n'est pas poussé par les mêmes raisons. le lecteur est seul dans sa tête, il suit à sa manière le chemin que l'auteur lui propose, sans musique, sans chanteur et sans instruments. Il ne regarde pas une scène, il construit la sienne. Il s'arrête, butine, lit à son rythme, revient sur ses pas, mélange ses sentiments à ceux de l'auteur, il remarque les fleurs et les cailloux sans qu'une chanson l'entraîne sur un autre tempo. On ne soigne pas un livre comme on le fait d'une chanson.

J'arrête là mes critiques négatives, car enfin je l'ai lu jusqu'au bout ce livre et pas seulement parce que Babelio et Le Cherche Midi m'ont fait la joie de me l'envoyer ;-)

Tout d'abord, il a y a aussi dans la forme pas mal de bons moments. Allez, quelques passages qui m'ont touché :
« Sourire avec le coeur, la bouche et puis les yeux. Cela paraît si simple quand tout est à sa place. Si complexe pourtant quand les ombres s'en mêlent. »
« … le coup du rendez-vous gravé au fusain sur mon front m'a mis le coeur en herbe »
« La vie chantait ses droits tout au coeur du chaos, comme les fleurs poussent parfois aux cicatrices des murs. »
J'ai bien aimé aussi les clins d'oeil à quelques grands passés Brel, Piaf, Brassens, Lamoureux (je vais m'y mettre, merci, car je ne connais pas bien), Bourvil, etc. Je n'ai pas vu passer Barbara ou bien je l'ai peut-être loupée ? Cela donnera-t-il envie à ceux qui les connaissent moins ? En tout cas, j'aime bien. D'ailleurs j'écris en ce moment en réécoutant « le petit bal perdu ».
Et puis, sans jamais perdre sa fidélité presque ingénue, notre héros s'épaissit au fil du livre lorsqu'apparaît la vie au-delà du petit cercle à deux. Une paix se fraie un chemin entre deux hommes au nom de ce qu'ils ont en commun. Brise rafraîchissante pour notre époque hélas prompte à rejeter l'autre au prétexte de différences qu'on veut insurmontables.

Enfin, de quoi parle ce livre (question que j'aime bien me poser quand j'en termine un) ? Que peut-on en tirer ? Quelle leçon, quelle ouverture pour soi-même ? Se trouve-t-on mieux de l'avoir lu ?
Et bien, oui, je m'en trouve mieux et malgré tout ce que j'ai pu dire en première partie (mais sans aucune méchanceté !), ce n'est pas juste une bluette.
C'est une illustration affranchie, inventive et originale de certaines vertus cardinales pour moi : l'humilité, l'amour du travail bien fait, la reconnaissance de ceux qu'on aime, l'opiniâtreté, le don, la fidélité, l'usage de la légèreté sérieuse.
L'acceptation de la vie enfin, des souffrances et de son non-sens pour mettre toutes ces qualités en musique. Pour soi, donc pour les autres.

Après vous avoir lu, je sais d'avance que vous continuerez M. Barcella, car ces qualités, je crois, ce sont un peu les vôtres.
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