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Critique de Lucilou


Une nouvelle réécriture de la Guerre de Troie? Arrêtez tout, j'arrive! Plus rien de doit exister que la renaissance de la cité de Priam, que la beauté sublime de sa catabase et celle d'Hector. Plus rien ne doit exister que le chant de Homère réinventé, chanté à nouveau.
Il est des histoires, des légendes, des mythes éternels et parmi eux, il en est que j'aime à la déraison, dont je collectionne passionnément les versions, quand je ne les pourfends pas si elles ont le malheur de me déplaire. Que voulez-vous, la mesure et moi…
Il y a la légende Arthurienne et l'Iliade, leur grâce tragique, leurs fracas, leurs grandeur… Je ne saurai dire quand la première m'a happée, en revanche, je me rappelle encore ce cours de latin en classe de 5° et cette professeur merveilleuse qui ouvrit pour nous toutes grandes les portes de la guerre d'Agamemnon.
Immédiatement, j'ai su que je serai troyenne. Pour la grandeur désespéré de Priam. Pour la tragédie. Pour la noblesse qui point si ardemment sous le sang et la défaite. Pour l'amour fou. Pour Hector.
Immédiatement, j'ai détesté Agamemnon et Ulysse, ce fourbe.
Depuis, depuis je traque Troie, je traque la légende et je me jette sur les ouvrages qui la racontent, encore et encore. Après "Le Chant d'Achille" et "Hélène de Troie", c'est donc le tour du roman de Pat Barker "Le Silence des Vaincues" que je viens de dévorer comme le loup dévore la brebis.

Si ce silence-là n'est pas à la hauteur du Chant d'Achille, il vaut bien l'épopée de Hélène et j'ai hâte, déjà, de me plonger dans sa suite.
Dans ce texte beau et violent, douloureux et remarquablement immersif, Pat Barker prend le parti de féminiser l'épopée de l'aède et de faire entendre les voix de celles qui furent contraintes au silence des siècles durant. A travers le personnage de Briséis, reine déchue de Lyrnessos, narratrice du roman, "Le Silence des Vaincues" donne la parole aux femmes, quelles qu'elles soient: reine, concubine, esclaves, mère, épouse, fille...

Le roman de Pat Barker s'ouvre un peu avant l'Iliade par la prise de Lyrnessos, l'une des cités alliées à Troie. du haut des remparts, la jeune souveraine voit son mari puis ses trois frères périr sous les coups des achéens, des myrmidons et de leur chef Achille en particulier. Les pages qui ouvrent le roman sont particulièrement insoutenables et nous plongent dans cette guerre avec brutalité, cruauté. On sent l'odeur écoeurante des charniers et celle de la sueur, on voit les rats dévorer les chairs putréfiées et abandonnées à la morsure du soleil, on devine l'épaisseur du sang qui poisse les murs, les sols, les corps... Pour Briséis et ses compagnes, la chute de leur ville ne signifie qu'une chose: elles ne seront bientôt plus rien qu'esclaves et prises de guerre, jetées en pâture aux achéens et à leurs appétits aiguisés par la violence et le sang, proies, victimes... La jeune femme sera le trophée d'Achille dont elle devra partager le lit, alors même qu'il a tué ses frères de ses mains.
Tout en restituant à sa manière, dure et grandiose, la Guerre de Troie, Pat Barker, non contente de faire de ces personnages de très belles héroïnes, ausculte avec finesse et sensibilité la tragédie de ces femmes réduites en esclavage. Certains passages du roman sont absolument poignants tel celui du sacrifice de Polyxène qui m'a laissée pantelante.
Pour autant la dimension engagé et féministe du roman ne l'empêche pas de se déployer et de nous donner à voir également un récit épique, volcanique, grandiose. Les pages consacrées au chagrin d'Achille sont à cet égard bouleversantes.

Bien entendu, "Le Silence des Vaincues" n'est pas parfait: je déplore une langue parfois trop moderne et relâchée pour être crédible ainsi que des anachronismes so 2020 et même si je me suis laissée prendre, consentante, au jeu du changement de point de vue et de narration - j'avoue ne pas en avoir bien saisi le sens.
Il n'en demeure pas moins que j'ai aimé cette version inédite , forte et engagée, intense de l'histoire, que j'ai aimé retourner à Troie et rêver à nouveau d'une autre issue qui ne viendra jamais. Troie et Hector tombent toujours et moi je suffoque.







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