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Critique de MMChretien


Flora a dix-sept ans et vit depuis ses dix ans avec une mémoire à court terme très altérée, presque hors d'usage. Tout ce dont elle peut se souvenir remonte au mieux à la période avant ses dix ans, au pire à deux heures en arrière. Entre les deux rien, le néant, l'abîme. Toutes les deux heures sa mémoire efface ce qu'elle a fait, qui elle est, où elle a été, pourquoi le présent est tel qu'il est. Elle oublie les événements, les personnes croisées, les actions, les causes de tout son quotidien. Alors, pour garder des traces, Flora écrit tout, sur ses bras, dans un cahier, sur des post-it, dans son téléphone, afin de pouvoir constamment reconstituer les bribes de son existence et lui donner du sens. Grâce à ces indices multiples mais parcellaires, Flora redécouvre sans cesse le contexte de sa vie, petite fille prisonnière de l'instant présent, prise en étau entre le flou du passé et de l'avenir. Pourtant Flora conserve en elle un souvenir récent, un seul : elle a embrassé Drake. Et ce souvenir inestimable va la conduire loin de chez elle, dans les contrées glacées de Norvège, lui faire entrevoir la liberté, lui donner le goût de la vie.

Le personnage imaginé par Emily Barr est tout à fait singulier et donne lieu à une écriture particulière puisque c'est Flora la narratrice, qui embarque le lecteur dans sa tête « percée ». Tout au long du roman Flora ressasse, ressasse en permanence le peu dont elle parvient à se souvenir et qui la plupart du temps la renvoie dans l'enfance, avant ses dix ans. A cause de son amnésie, elle redécouvre en permanence les éléments du présent et, lorsqu'il s'agit de choses douloureuses : l'absence de ses parents, la brouille avec son amie, la maladie de son frère, Flora les reçoit à chaque fois de plein fouet, condamnée à la répétition perpétuelle, incapable d'assimilation, d'adaptation ou de résilience. L'histoire se répète sans cesse, Flora est constamment dans l'incompréhension de ce qui lui arrive et est plongée dans une vie d'ignorance, une vie hors du temps faite d'angoisse, d'incertitudes et d'instabilité.

Et le lecteur est embarqué dans la tête de Flora, rentre en empathie avec elle, et c'est aussi l'angoisse qui le saisit alors qu'il découvre, en même temps qu'elle lisant son cahier de notes, ce qui s'est passé. Lui aussi est amnésique, perdu dans l'Arctique glacial, suspendu à ces petits bouts d'indices qui dévoilent par fragments l'inquiétante réalité, guidé par une écriture de la répétition qui soutient cette crainte lancinante de l'inconnu. Il suit le parcours de l'adolescente dans la plus grande précarité, l'accompagne dans ses actes incontrôlables et ce sens des choses insaisissable, sans pouvoir lui venir en aide. Plus le roman avance plus Flora sombre dans un chaos qui confine à la folie et qui en devient perturbant pour le lecteur. La dernière partie en revanche est celle du dénouement serein et des explications et sort celui-ci de sa torpeur.

Un récit vraiment original mais bien flippant, et un quasi film d'horreur pour cette jeune fille condamnée à l'oubli perpétuel et à vivre dans l'instant. Il rappelle combien l'existence de l'homme est conditionnée par la notion de temps, et combien la mémoire est tentaculaire, complexe et essentielle à chaque instant de nos vies, dans la moindre parcelle de nos actes, de nos pensées, de nos choix, de nos émotions et de notre compréhension du monde extérieur.
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