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Critique de Patsales


Ils étaient partis, eux les privilégiés de ce monde, fendant les flots sur un luxueux paquebot, nourris, logés, abreuvés de culture: "Croisière Patagonie et terres Australes, Argentine – Uruguay – Malouines – Chili. Embarquez à bord du MS Zaandam (700 cabines seulement) pour une croisière inoubliable au bout du monde, sur les traces des plus grands explorateurs, à la conquête de ces terres préservées, riches de leurs cultures éclectiques, de leur faune variée et de leurs paysages impressionnants, de l'Argentine au Chili en passant par Ushuaia, le détroit de Magellan et le cap Horn."
Et paf, le Covid.
Et le bateau, devenu maudit, de quêter de port en port une escale où être accueilli, tandis que tous les pays le rejetaient au large; passagers enfermés dans leurs cabines, luxueux immigrés, indésirables, craignant pour leur vie.
Ah oui, mais, un malheur n'arrivant jamais seul, Olivier Barrot est à bord. Il était conférencier; au chômage technique, il se fait le chroniqueur de cette nef des pestiférés.
Alors, des trucs improbables j'en ai compulsé; mais un machin pareil, jamais. Je me suis dit, en l'ouvrant, que j'allais lire un roman métaphysique. Et Barrot, clairement, avait l'ambition de l'écrire. "Un jour, j'ai rencontré la vérité." assène-t-il. C'est l'incipit. On frémit.
On a tort. La vérité, il l'a peut-être rencontrée, mais, pas folle, elle ne s'est pas attardée. Elle a dû se carapater vite fait. Alors que les passagers, eux, n'ont pas eu cette chance: certes confinés, mais dans l'incapacité d'échapper aux chroniques de l'auto-proclamé moraliste en chef, déversées par la radio de bord.
Et que raconte-t-il au fil des dites chroniques? Sa vie. Qui est fort passionnante parce qu'il a beaucoup voyagé, beaucoup lu, et, pour notre malheur, beaucoup retenu. Par exemple, à l'approche des côtes argentines, il raconte avoir rencontré à Buenos Aires un journaliste sportif du nom de Victor Hugo, dont il décrit la compagne, fort pertinemment surnommée par lui Juliette Drouet et qu'il compare à Liv Ullmann, parce qu'il est aussi beaucoup allé au cinéma.
Barrot ne sait donc parler que de lui et lui-même n'est rien de plus qu'un fond inépuisable de souvenirs livresques ou cinématographiques. Il y a des manchots aux îles Sandwich, paf, il dégaine le Pingouin de Kourkov (On ne peut même pas savoir s'il l'a lu au-delà du titre). L'orchestre à bord lance une valse? Schlack, on apprend qu'elle a été composée pour un film de Duvivier. On approche du Chili? Zoum, Barrot liste tous les Chiliens de France, dont Emilfork, un comédien mis notamment en scène par Chéreau, ce qui nous vaut cette délicieuse précision: "Chéreau, avec qui j'eus la chance de converser en public, un soir, au Théâtre du Rond-Point". On a là la quintessence du Graal selon Barrot: échanger deux mots avec une célébrité, et surtout, être vu! Gloria.
Bref, les malheureux voyageurs, on le conçoit, ne pouvaient être entre de meilleures mains. Pour "combattre l'esprit défaitiste qui a manifestement saisi certains", Barrot parle de Londres sous les bombardements allemands et demande à chacun de se tenir ("Please behave!"), tout entier au bonheur d'être devenu Churchill.
Sinon, on n'apprend rien de plus que ce que n'importe quel journal avait déjà raconté, à l'exception notable d'un scoop qui pourrait avoir des conséquences dramatiques : un couple avoue être à bord à l'insu de leurs conjoints officiels respectifs, Barrot les assure de sa discrétion... , après avoir donné des noms, des âges et une description qu'on espère fictifs - il est vrai que l'auteur lui-même ne peut décemment croire que son livre sera lu (Je suppose qu'il en a envoyé un exemplaire dédicacé à chaque participant, ce qui expliquerait sa présence dans ma médiathèque préférée).
Décidément, il y a du Candide dans cet homme-là, qui voyage en proférant les paroles d'un autre que lui, décidé à se protéger du monde derrière la muraille d'une érudition frivole, snob et inoffensive.
Mais peut-être est-ce là le secret pour revenir sain et sauf de tous les voyages.
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