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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Si j'avais su que la fin du monde était proche, j'aurais apporté de meilleurs livres."
(Dale, "The Walking Dead")

Oui.. si je savais, j'aurais fait tout comme Dale. Mais comment savoir, n'est-ce pas ? Si je me fie à mon cher T. S. Eliot qui imagine la fin du monde "not with a bang, but a whimper", donc quelque chose de pas vraiment tonitruant, il vaut peut-être mieux commencer à trier ma bibliothèque.
Et Antoine Volodine fera très certainement partie de la pile ultime.

J'aborde chaque nouveau volume de son corpus post-exotique avec la crainte que tout a déjà été dit, et que plus rien ne puisse me surprendre. Et en quelque sorte c'est vrai : à chaque fois on se retrouve dans un monde identique, rouillé et détruit, où une poignée de survivants vivote sur les vestiges irradiés de notre ancienne civilisation. Les parallèles avec les romans post-apocalyptiques s'imposent naturellement, mais vous n'y êtes pas tout à fait. Les rares habitants qui peuplent encore les contrées volodinesques ne luttent plus pour la survie, et n'envisagent nullement de reconstruire quelque chose de neuf sur les ruines, car ce n'est plus la peine. Résignés, ils passent leur temps entre la vie et la mort, le rêve et la réalité, interchangeables à volonté.
J'ai presque envie de mettre Volodine sur mon podium privé des visionnaires, à côté d'écrivains comme Huxley, Čapek ou Kafka. Il a parfaitement saisi - et ceci de façon inimitable ! - cet inquiétant "whimper" d'Eliot ; ce dernier imperceptible soupir d'agonie de l'humanité. La situation est à la fois grave et désespérée, et malgré tout, Volodine sait être drôle, très drôle même, si on arrive à savourer le potentiel comique de l'absurde. Et une chose est sûre : cet auteur protéiforme à thème unique n'ennuie jamais !

Pour écrire ce recueil d'entrevoûtes intitulé "Avec les moines-soldats", Volodine a murmuré "fiat Lutz", et il a endossé l'identité de Lutz Bassmann. Quelle est la différence entre les deux ? Je ne saurais dire... Comme son nom pourrait le suggérer, Bassmann est une sorte de sous-homme, tout comme Dondog et un tas d'autres personnages volodinesques. Eternel prisonnier tant du régime qui l'a fait incarcérer, que de la tête de son créateur. Pour mieux comprendre les tours et les détours de ce labyrinthe post-exotique, la troisième des sept parties du livre, "La plongée", pourrait être utile. Dans une immense prison, les personnages des livres de Volodine ainsi que ses avatars littéraires (ce qui est souvent du pareil au même) frappent dans les murs pour communiquer. La prison est secouée par la tempête de souvenirs et d'histoires... et c'est peut-être là que Bassmann/Volodine raconte aussi ses aventures des moines-soldats.
Qui sont-ils, ces Templiers post-exotiques ?
Il est presque marrant de constater que même si la population terrestre drastiquement réduite est en train de vivre ses derniers instants, dans un endroit (impossible à situer sur la carte) appelé Réservoir, il existe encore une Organisation qui envoie ses agents en "mission". le but de ces missions n'est pas tout à fait clair ; ainsi Schwahn doit se rendre dans une maison en bord de mer pour y pratiquer un exorcisme, Brown prend son billet pour New Yagayane pour s'occuper de "quelque chose" censé se produire au petit matin au Tong Fong Hotel désaffecté, et Monge... ah, l'histoire de Monge défie toute description, mais c'est aussi une belle histoire d'amour !
Dans un monde où on se tourne vers les anciennes pratiques chamaniques, car tous les autres moyens pour retrouver l'équilibre ont failli, ces moines-soldats, mi-sorciers, mi-guerriers, sont souvent pris de doutes quant au bien fondé de leurs missions ; parfois ils s'interrogent même sur l'existence réelle de leurs supérieurs hiérarchiques. D'ailleurs, toutes ces opérations sont on ne peut plus foireuses, et entrainent nos agents spéciaux dans de véritables cauchemars. Que des faux Bond, au Volodinestan ! Brown aura la possibilité de reprendre tout à zéro dans une réalité parallèle, mais est-ce que ce deuxième tour à New Yagayane aura davantage de succès ? A vous de juger...
Sur la dernière page, on trouve l'inscription "Silence après le texte", qui est pratiquement superflue ; le silence s'installe spontanément... peut-être pour mieux entendre ce petit gémissement prévu par Eliot... ? 4,5/5

P.S. : L'autre jour je me rendais à l'Espace Culturel. Dehors, tout était couvert par la fine poussière rouge du Sahara, et le Soleil blanc sans aucune luminosité ressemblait étrangement à la Lune. A la radio : guerre et pandémie. La librairie de Leclerc m'a accueillie avec ses rayons New Romance, New Adult (que diable...?), Young Adult, Bit-lit, Chick-lit... on pourrait facilement les remplacer par entrevoûtes, narrats, romånces , shaggas ou glorificats post-exotiques, l'effet invraisemblable serait identique. Et juste à côté, un nouveau rayon "chamanisme", bien garni en cristaux, attrape-rêves, cartes divinatoires, fioles, pendules et grimoires de toutes sortes... une sorte d'entrée dans l'ère post-exotique ? Merci pour votre clairvoyance, Antoine !
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