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Critique de NMTB


NMTB
20 décembre 2014
Ce recueil de tous les écrits sur l'art de Baudelaire, au moins aussi imposant par le nombre de pages que toute son oeuvre poétique, est d'une qualité inégale. le malheur est qu'il commence, comme l'ordre chronologique l'impose, par une introduction assez longue et fastidieuse, c'est-à-dire le compte-rendu du salon de 1845, qui, de tout le livre, est la partie la plus inintéressante ; à peine plus qu'un catalogage. Second bémol, comme Baudelaire n'avait probablement jamais envisagé que tous ces articles pussent être un jour réunis dans un même livre, il y a d'assez nombreuses et rébarbatives répétitions. Malgré tout, l'ensemble reflète assez bien les différents débats qui ont animé la vie artistique française au milieu du dix-neuvième siècle. « Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion) » a écrit Baudelaire dans Mon coeur mis à nu. Iconolâtre dans son adoration de la peinture, il fut aussi iconoclaste dans ses attaques contre la tradition classique. La dualité est une constante dans les critiques artistiques de Baudelaire. Il défend toujours contre. le romantisme contre le classicisme, l'imagination contre le réalisme, les sentiments contre l'idéal, la couleur contre le dessin, le génie contre les ouvriers d'atelier, l'individualité contre la conformité (ce qu'il appelle dédaigneusement le style, le manque de personnalité). Mais, toutes ses prises de position n'ont pratiquement qu'une cause : l'adoration qu'il voue à Delacroix et sa ferveur à l'exalter. Son admiration est sans bornes, c'est le génie du siècle. Il en parle avec passion, à tel point que le peintre et le poète se confondent et, parfois, on ne sait plus si Baudelaire décrit les tableaux de Delacroix ou sa propre oeuvre à venir : « Ce petit poème d'intérieur, plein de repos et de silence, encombré de riches étoffes et de brimborions de toilette, exhale je ne sais quel haut parfum de mauvais lieu qui nous guide assez vite vers les limbes insondés de la tristesse. En général, il ne peint pas de jolies femmes, au point de vue des gens du monde toutefois. Presque toutes sont malades, et resplendissent d'une certaine beauté intérieure. Il n'exprime point la force par la grosseur des muscles, mais par la tension des nerfs. C'est non seulement la douleur qu'il sait le mieux exprimer, mais surtout, - prodigieux mystère de sa peinture, - la douleur morale ! » On sent Les fleurs du mal en gestation. D'ailleurs à l'occasion, toujours en commentant Delacroix, il n'hésite pas à citer et expliciter les vers « d'un poète dont la sincérité peut faire passer la bizarrerie » qui n'est autre que lui-même. Cependant, s'il soutient indéfectiblement Delacroix contre Ingres, son grand rival (en particulier dans le débat qui consistait à faire d'Ingres un meilleur dessinateur), il reconnait tout de même à ce dernier un « admirable talent » et n'hésite pas à le défendre tant qu'il ne se trouve pas en concurrence avec son champion (voir l'article sur le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle). Par contre, il est sans pitié pour les imitateurs de toutes sortes, que ce soit des grands maîtres, des antiquités ou de la nature ; il ne leur pardonne pas leur manque d'imagination. L'art est une affaire de sentiments et un plat imitateur ne peut en aucun cas transmettre des sentiments intimes et sincères. Cette primauté de l'imagination qu'il développe surtout dans le salon de 1859 recoupe en grande partie, il me semble, la notion de naïveté à laquelle il donne beaucoup d'importance dans ses premiers Salons. L'Art, le Beau, est le mélange d'un idéal éternel, insaisissable, et d'une multiplicité de sentiments tout aussi fuyants. D'où la bienveillance de Baudelaire envers les caricaturistes toujours prêts à reproduire, avec un humour satanique, le caractère mouvementé de ses contemporains. Ainsi que son intérêt pour Constantin Guys, peintre de la modernité (et précurseur d'artistes tels que Degas ou Toulouse-Lautrec) qui serait probablement tombé dans l'oubli sans son illustre commentateur. À part ça, il y a dans ces Ecrits sur l'art quelques passages assez savoureux quand Baudelaire se risque à des considérations politiques. Des introductions à ses deux premiers Salons, qui ne sont qu'apologies du bourgeois (rouage essentiel de la société, il est vrai, et accessoirement son lectorat), jusqu'au Salon de 1859 - après une révolution passée sur les barricades et un procès pour atteinte aux bonnes moeurs - où il exprime son envie d'envoyer « son écritoire à la face de l'âme bourgeoise » et « avec une vigueur qu'elle ne soupçonne pas »… tout ça est plutôt drôle.
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