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Critique de HenryWar


Voici un livre étonnant : 730 pages en tout dont : préface et notice d'environ 60 pages, bibliographie et notes d'environ 200 pages, et environ 130 pages de coupures de presse plus ou moins annotées par Baudelaire mais qui ne sont pas de lui, soit environ 400 pages déjà qui ne relèvent pas de la plume du poète. Après cela, les trois recueils, Fusées, Mon coeur mis à nu et La Belgique déshabillée ne sont pas non plus des oeuvres, en général, mais plutôt des notes, des post-it de l'auteur, des idées sur lesquelles il avait résolu une fois d'écrire et dont il n'a trouvé ni le temps ni le courage, ni probablement l'intérêt, de constituer des textes, tant de fragments très relativement littéraires entrecoupés de pense-bêtes, parmi lesquels des créances et des livres à retrouver ou à rendre, avec abréviations, ratures et ajouts indiqués à l'aide de différents signes typographiques scrupuleux, comme si brouillons et bavures importaient au lecteur censé adorer chaque trace, postillon et bredouillis, de son écrivain favori.
C'est qu'on a l'art en France de pressurer à l'excès le petit patrimoine national comme une olive : puisqu'on est incapable d'en fabriquer, il faut incessamment promouvoir le même sous des formes de plus en plus vétilleuses, et ne doutons pas que si l'on avait pu faire tenir la sueur Baudelaire, la semelle de pantoufle Baudelaire et les bibelots Baudelaire dans cet ouvrage à la fois pléthorique d'anecdote et assez famélique de pensées, Gallimard s'y serait livré sans scrupule tant c'est avec volubilité qu'ici l'on disserte d'un auteur qui n'eut de mérite qu'en un excellent recueil (Le Spleen de Paris n'étant qu'une tentative inégale et vantarde), puisqu'en poète dissolu et nonchalant Baudelaire jugea bon d'établir quantité de projets et de résolutions qu'il ne tint que rarement, au lieu de travailler avec constance à une oeuvre dont il ne cesse de vanter les mérites au conditionnel s'il avait seulement eu le courage de s'y atteler.
Ce livre, en somme, est un excellent témoignage de tout ce qu'on peut ne pas accomplir à force d'atermoyer quand on est écrivain, ainsi que de tout le bavardage qu'on peut pérorer sur l'inaccomplissement d'un écrivain quand on est éditeur, préfacier ou universitaire c'est-à-dire désoeuvré, à peu près payé à la ligne et sans volonté ni discernement : verbiager sur un énième jus de Baudelaire, c'est sans doute une fierté dans un curriculum vitae, c'est-à-dire, au lieu d'un honneur, une pitoyable gloriole, symptôme caractéristique de tous les Français qui prétendent qu'en parlant d'un triomphe et qu'en vantant ses titres, on attire sur soi une part de son succès et de ses dignités, vertu qu'on résumerait en l'appelant : « avoir l'air de reconnaître le talent et donc d'en avoir. » C'est ainsi un livre formidable pour ce qu'il s'agit de définir un certain type français : un génie qui paresse, un public qui adule. Au même titre, Folio produira sans doute bientôt la publication des listes de course de Victor Hugo, ainsi que les tracés d'Albert Cohen sur tous les papiers où son stylo a fui ; et j'offrirai itou, après ma carrière, mes corbeilles de bureau collectées de longue date de façon que Grasset ou que Seuil livre une étude composite sur les strates méticuleuses de mes déchets de papèterie, et je me réserverai au surplus de léguer mes documents administratifs et médicaux à dessein que nul ne soit en reste des détails les plus superfétatoires de mon existence, et qu'on puisse pontifier sur l'honnêteté de mes déclarations fiscales et la possibilité ou non que des hémorroïdes soient responsables de mon sens acerbe de la vérité.
Je ne prétends pourtant pas qu'on ne trouve là-dedans rien qui ne soit juste et truculent, mais il faut fouiller longtemps dans des notules stupides qui ne réservent guère de surprises, et un tel exercice, souvent stérile et même abrutissant, devient lassant à force, comme de chercher dans une boîte d'allumettes les enduits de phosphores rouges qui ont bavé : le temps s'épuise, la quête est infructueuse, on déplore de ne pas mettre sa lecture à profit pour apprendre par coeur par exemple l'oeuvre véritable, l'oeuvre solide et ambitieuse des Fleurs du Mal, plutôt que ces piteuses virtualités qu'on peut consulter avec le sentiment d'autant d'aveux de tout ce qui n'a pas été accompli par un être gâché qui avait assurément, et contrairement à la légende, le temps et la fortune de son côté.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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