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Critique de Fabinou7


Imaginez : vous faites la poussière au grenier et tombez par hasard sur le journal intime de votre trisaïeul Ludwig II von Bayern (1845-1886). Que faites-vous ? Vous l'ouvrez n'est-ce pas ? Alors ouvrons-le ensemble.

Dans ces carnets vous ne trouverez pas (i) de secrets d'Etat sur la réunification de l'Allemagne et l'allégeance, exécrée par Louis, de sa Bavière à la conquérante Prusse  Bismarckienne (ii) pas non plus d'anecdotes familiales sur les entrevues avec sa cousine chérie l'Impératrice Sissi (1854-1898) ou l'internement de son frère Othon  (iii) rien non plus sur les grandes oeuvres architecturales d'un roi qui laisse à la postérité des châteaux aussi fantastiques que Herrenchiemsee dont la galerie des glaces est de 25 mètres plus étendue que celle de Versailles ou encore Neuschwanstein, dressé sur son éperon rocheux de 200 mètres, inspiré du château de Pierrefonds restauré par Viollet-le-Duc et qui inspira lui-même son fameux palais à Walt Disney.

Ces notes éparses qui jalonnent le règne de Ludwig II de Bavière (1864-1886) sont une incessante déchirure entre le désir d'un homme et la conduite d'un roi – chrétien - élevé dans la tourmente du péché. L'incapacité douloureuse du roi à soumettre l'homme rend d'autant plus pathétique la lecture de ces carnets rédigés en français pendant près de vingt ans par un souverain misanthrope, de peu d'influence, indifférent à ses sujets et admirateur absolu des rois de France (dont nous connaissons pourtant la pureté des moeurs…).

Pour l'anecdote, dans son Linderhof, sorte de petit Petit Trianon rococo, Louis II, qui inspira à Klaus Mann une nouvelle et à Visconti son "Crépuscule des Dieux" avec Helmut Berger et Romy Schneider, dinait régulièrement avec les portraits de Louis XIV et de Marie-Antoinette et leur faisait même la conversation. Les domestiques faisaient discrètement monter les plats depuis une trappe, ainsi personne ne troublait les soupers versaillais du roi de Bavière.

Le lecteur croise des personnages ayant profité considérablement des largesses d'un roi amoureux, comme le compositeur Richard Wagner mais également des inconnus comme Richard Hornig qui semble avoir dominé le coeur du roi durant de longues années.

“Forte est la magie de celui qui désir, plus forte celle de celui qui renonce”

Entre onanisme avoué à demi-mots, entrevues elliptiques et serments d'apostasie charnelle, le lecteur accède à un brumeux aperçu de ce que fut l'intimité érotique du roi, dont la réalité garde tout de son ineffable mystère.

Cette intrusion désintermédiée et, avouons-le, indiscrète dans le conflit insoluble de Ludwig II reste une expérience troublante, laissant le lecteur empreint d'empathie et de pitié.

Tout au long de son règne, Louis II s'intime en vain à lui-même des interdits charnels, à coups de faux décrets, édits, patentes griffonnés sur ses carnets secrets, prenant les rois Bourbons à témoins, ne plus “toucher à la personne Du Roy”, “plus de baisers” ou encore “ne plus abaisser les mains une seule fois, sous peine de punition sévère”.

Si la culpabilité d'être homosexuel le rongea toute sa vie, Ludwig refusa pourtant les épousailles avec sa cousine, la soeur de l'Impératrice Sissi (ce dont on peut se réjouir, Louis II faisant lui-même les frais du dégât causé par la congénitalité de la dynastie des Wittelsbach). Si le roi s'invente volontiers pour lui une vie d'illusions, il est intéressant de noter qu'il existe un mensonge social auquel jamais il ne consenti à se soumettre, en dépit de ses devoirs de souverain, c'est celui du mariage hétérosexuel…

L'ouvrage contient également une Préface de l'académicien Dominique Fernandez, très éclairante sur la psychologie de Ludwig II à l'aune de nos connaissances actuelles, qui ne nous cache rien de la face plus sombre d'un monarque, certes incompris par ses contemporains, mais aussi colérique, capricieux, dispendieux, ridicule et qui pouvait faire preuve d'un réel sadisme envers ses domestiques.

Autre intérêt de ces carnets secrets, à l'attention des plus investigateurs d'entre nous : l'accès en annexe au rapport psychiatrique ô combien controversé, dressé sans examen du principal intéressé, déclarant l'abolition permanente du discernement d'un roi devenu gênant ainsi que son internement au château de Berg le 12 juin 1886, où, coïncidence équivoque, il trouva la mort le lendemain, noyé avec son médecin dans d'obscures circonstances (à toutes fins utiles, le rapport d'autopsie est également consultable à la fin du livre).

La destitution du dernier "vrai" roi de Bavière au profit de son frère, dément, et donc soumis à une régence, affaiblissant et déstabilisant le pouvoir de Munich ne pouvait qu'arranger les affaires de Berlin.

Ce que je veux nous dire c'est qu'avec Ludwig II tout est sujet à débat. Aujourd'hui encore, difficile de s'accorder sur la postérité politique et économique de ce roi sulfureux, mais également de poser un diagnostic sur sa santé mentale et surtout de faire la lumière sur son trépas digne d'un opéra tragique.

Vous en ai-je trop dit ou pas assez ? Libre à vous d'emprunter la « romantic road » à la rencontre d'un roi de légende, archétype du romantisme allemand (il se prenait volontiers pour Parsifal ou Lohengrin) dont les châteaux, gardiens de ses rêves secrets et flammes défendues, témoignent de la puissance de son imaginaire.
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