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Critique de Apoapo


Apoapo
10 décembre 2023
Sur cette Île Bourbon, ensuite Île de la Réunion du XIXe siècle, « où tout meurt vite, les hommes autant que les fleurs », la végétation est aussi flamboyante que le climat est hostile. La vie de la plupart des colons français, à l'instar de Ferréol Bellier-Beaumont, botaniste, n'est guère opulente encore ; mais celle-ci est incomparablement plus dramatique lorsque l'on naît Noir donc esclave, orphelin de mère et de père inconnu, à l'instar d'Edmond, nouveau-né confié à Ferréol pour essayer de le consoler de son veuvage prématuré. L'enfant noir, « ti gâté pourri », apprendra de son père adoptif les noms latins et les secrets de culture de toutes les plantes tropicales, et notamment des orchidées qui sont la marotte de Ferréol, mais l'on ne s'encombre pas de lui apprendre à lire et à écrire, et son ambition de devenir botaniste, comme Ferréol ou comme Linné, sera reçue comme une insoumission saugrenue, inadmissible et honteuse. Lorsque le garçon de douze ans découvre à force d'observation et d'obstination la méthode manuelle qui permet de féconder les vanilliers, accomplissant un rêve de succès que son père adoptif nourrissait pour lui-même, la découverte sera partagée coram populo, comme l'on montre le spectacle d'un enfant prodige, mais personne ne songera un instant à protéger l'avenir du jeune esclave, ni même à lui assurer la notoriété et la gratitude qu'il mérite. En effet, la reconnaissance de ce qui serait dû à un esclave s'il était titulaire de droits est proprement impensable, quels que soient les sentiments d'affections (mais aussi de jalousie) qui lient un vieil homme à son fils de coeur.
Du côté social et politique, l'abolition de l'esclavage en 1848 décidée en Métropole et nullement adoptée dans les esprits des colons de l'Île, s'avère dérisoire, prématurée, néfaste en l'absence de toute préparation, réparation, politique sociale... D'autant plus dans un contexte où n'est laissé cours qu'à une accumulation proto-capitaliste sauvage et anarchique, et où la justice s'avère arbitraire, approximative et fondamentalement raciste.
L'histoire romanesque de la vie d'Edmond devenu Albius, « Le plus blanc » d'après le nom latin qu'il s'est choisi tel celui des plantes qu'il connaît sur le bout des doigts, reconstituée sur la base de quelques rares fragments d'archives départementales et sans doute d'après la mémoire orale des Noirs réunionnais, peut se lire comme celle d'un homme qui « comme plus d'un inventeur, ses pareils, a vécu misérable et est mort oublié » (cit. p. 235). Elle peut se lire aussi comme un récit de racisme ordinaire apte à broyer le destin et les mérites de toute personne racisée, par simple effet systémique, par-delà les aléas individuels, chances et malchances, affects et deuils qui échouent à chacun durant son existence.
Dans la prose de l'autrice on remarquera la richesse des descriptions, notamment végétales, le charme des termes et phrases créoles parfois restitués et plus généralement une narration qui laisse sa place à la forme du conte transmis par voie orale.
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