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EAN : 9782073029898
Gallimard (24/08/2023)
3.93/5   78 notes
Résumé :
Au XIXe siècle naît à l'île de La Réunion un garçon créole : Edmond. Ses parents aimeraient que leur fils grandisse aux abords des champs de canne à sucre, des rires plein le coeur, l'esprit entièrement libre. Le malheur en décide autrement. D'abord, il fait d'Edmond un esclave. Dans la foulée, un orphelin. Après, un garçonnet analphabète. La vie s'annonce infernale, mais l'enfant a un talent sans pareil : celui de déjouer les pronostics.
Recueilli et élevé p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Alors qu'un cyclone vient de passer sur l'île Bourbon, ancien nom de l'île de la Réunion, Elvire, dans une énième tentative pour lui rendre le sourire, remet à son frère, Ferréol Bellier Beaumont, veuf inconsolable, passionné de botanique et grand propriétaire terrien à Sainte-Suzanne, un orphelin noir âgé de quelques semaines. Il s'appelle Edmond, est né en 1829 sans que l'on sache la date exacte de sa naissance, de parents esclaves. Mélise, sa mère, propriété de Mademoiselle Elvire, est morte lors de l'accouchement. Il aura un patronyme bien plus tard, après l'abolition de l'esclavage, en 1848 : Albius, qu'il a choisi lui-même.
Si Ferréol hésite en voyant ça, sous-entendu ce bois d'ébène, paquet vivant de tracasseries manifestes, il a le pressentiment d'un possible pansement sur ses plaies mal cicatrisées, une sensation de seconde chance, et le garde.
Ferréol, ce botaniste amoureux d'orchidées, promène le petit enfant dans une brouette, dans son jardin et dans sa vaste pépinière. « C'est une immense kermesse de parfums et de couleurs, bruissante d'abeilles, qui bat son plein autour de la brouette qui transporte Edmond. »
C'est ainsi que l'enfant découvre la botanique et la genèse des plantes. Bien qu'analphabète, il désigne bientôt les plantes dans le jargon scientifique des Linné et Jussieu comme le dira plus tard Volcy-Focard.
Et c'est en 1841, âgé de douze ans, après avoir fait maints essais, qu'Edmond découvre le geste de pollinisation de la fleur du vanillier qui permet la production de gousses. Il vient de faire une découverte révolutionnaire : un nouveau fruit, un nouvel arôme !
Dans le fruit le plus rare, Gaëlle Bélem retrace la vie d'Edmond Albius, un esclave pas comme les autres, tout en brossant un tableau humain et social du XIXe siècle sur l'île Bourbon avec au coeur du récit, ce lourd passé colonial et l'esclavage qui ne sera aboli que le 20 décembre 1848.
Elle décrit avec un tel talent le sublime jardin de Ferréol, qu'il entretient avec tant d'amour et de passion, qu'il est impossible de ne pas être envoûté et enivré par les parfums et les couleurs de cette flore luxuriante, tout comme elle sait, ensuite, nous faire saliver avec les fameux cannelés ou encore les succulents pasteis de nata.
Il est intéressant de voir que d'une dizaine de kilos de vanille exportés en 1848, l'île Bourbon est passée, dès la fin du XIXe siècle, à deux cents tonnes !
Avec une recherche bien documentée, elle parvient à redonner vie à ce personnage oublié, que pour ma part, je ne connaissais pas. Un autre personnage est indissociable d'Edmond, il s'agit de Ferréol, souvent difficile à cerner, mais en quête d'amour lui aussi.
J'ai suivi avec curiosité et grand intérêt cet enfant passionné de botanique, épris d'amour pour sa mère morte, qui se prend à rêver de faire donner des fruits au vanillier jusqu'à ce que, à force d'essais et d'obstination, il y parvienne.
Le récit est émaillé d'expressions créoles, le rendant très vivant.
Malheureusement, cette histoire vraie, envoûtante, délicieuse à certains moments laisse un goût amer.
Si certains grands propriétaires se sont enrichis, Edmond, lui, bien qu'affranchi à l'âge de dix-neuf ans, va vivoter, trouvera quelque temps l'amour auprès de Marie-Pauline, avant de s'éteindre dans la misère le 9 août 1880, à l'âge de 51 ans.
Avec ce deuxième roman, le fruit le plus rare, Gaëlle Bélem réhabilite en quelque sorte Edmond Albius, cet ancien esclave devenu un botaniste exceptionnel en découvrant le processus de fécondation manuelle de la vanille Bourbon, resté dans l'ombre trop longtemps et on ne peut que l'en remercier !
(À noter que ce n'est qu'en 1981, que la municipalité de Sainte-Suzanne a érigé une stèle sur le lieu de naissance d'Edmond Albius à Bellevue et qu'une statue en bronze de celui-ci se dresse depuis 2004 au coeur d'un mémorial sur l'esclavage, reconnu comme crime contre l'humanité.)

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Un petit bout d'chou nait à l'Ile Bourbon (qui s'appellera en 1848, date de l'abolition de l'esclavage, La Réunion) mais sa mère meurt à sa naissance et son père s'enfuit. Il est esclave, fils d'esclave, et, chance pour lui, ses petits pieds potelés, son front bombé et la certitude qu'il donne de tout comprendre émeuvent le veuf inconsolable qu'est Ferreol, à qui la soeur avait offert pour lui redonner envie de vivre un chien, un perroquet, puis le bébé.
Ferreol possède un grand domaine, il en connait toutes les plantes, dont les orchidées qui sont sa passion, passion qu'il communique à Edmond, qu'il promène dans une brouette en lui nommant les noms latins des différentes plantes.
J'avoue avoir mis du temps à lire ce livre, cherchant chaque nom que je ne connaissais pas, ce qui m'a donné une vision du jardin botanique réunionnais. (Remarque personnelle : la datura, dit l'auteur, est plus hallucinogène que toxique, ceci dit, cette hallucination prend parfois des allures de coma, nous l'avons constaté en Afrique. Et puis le cannabis, sans commentaire)
Avec une écriture très tendre, Gaelle Belem parsème ces noms latins du vocabulaire créole, le seul que le petit connaisse. Il grandit, passionné par la terre et ce qu'elle produit, croit le conte inventé par son « ti père », sur la création du monde, à partir des graines et des racines, et se met à la recherche d'une orchidée rare.
Écriture très tendre, et aussi parfaitement consciente de l'histoire de l'esclavage, de la pénétration de son ile par les fils d'aristocrates, d'esclaves multitâches et entre deux, les petits Blancs, chacun avec leurs intérêts divergents.
Écriture de plus retraçant l'histoire de la vanille, dont Moctezuma fait boire une décoction à Cortés, puis lui montre les gousses. Cortes s'empare de la vanille, foule aux pieds les abeilles en privant par là l'humanité des premiers agents pollinisateurs. Nous suivons le voyage, depuis l'Espagne de Charles Quint, Versailles, lorsqu'une caisse de vanille arrive à l'ile Bourbon pratiquement en même temps que la nouvelle : en Belgique, grâce à Charles Morren, la vanille fécondée a donné des fruits.
Edmond a douze ans lorsqu'après des semaines, des mois, des années à essayer d'obtenir des gousses, en compagnie de son ti père, il réussit à en comprendre le processus :
Le fruit le plus rare !
Dès son succès, les mauvais vents se liguent cependant contre lui : les propriétaires terriens parlent d'outrages, de volonté de les remplacer, de les anéantir. Les esclaves accumulent la rancoeur contre celui qui dormait dans des draps comme un Blanc. Et son presque père, au lieu de ressentir de la reconnaissance pour lui avoir redonné le goût de vivre et d'avoir réussi l'exploit de trouver comment cultiver la vanille, se sent floué et l'abandonne à son sort.

Triste sort, d'un esclave génial, finissant tristement.

Mieux vaut lire toutes les premières pages sur le voyage de la vanille, la création du monde, et aussi ce sentiment haine/amour que Gaelle Belem explique bien :
“Parfois, en se levant, Ferréol se demande ce qu'il serait s'il n'avait pas recueilli Edmond.
Edmond, son Edmond, a eu une idée de génie qui a enrichi notablement tous les vanillards de l'île. Grâce à son Edmond, la vanille est désormais un produit connu de tous. Il crie à tue-tête mon enseignement, ma propriété, mes conseils. Il répète à tout-va mon Edmond, mon esclave, mon orchidée. Debout devant le pupitre où il répète son discours de remise de la Légion d'honneur – on ne sait jamais –, Edmond silencieux à ses côtés, Ferréol regarde par la fenêtre les cargaisons de gousses qui filent vers les quais de Saint-Denis et les boutiques de France, emballées dans des boîtes de fer-blanc. Ses yeux s'illuminent comme un phare, son front s'éclaircit. Devant Edmond qui manque de s'étrangler comme s'il avalait de travers, Ferréol s'exclame tout haut :
— La vanille, c'est moi !”

Pour des raisons donc très différentes, ce livre est un petit joyau : le parler créole, les sentiments ambivalents, l'énoncé des multiples plantes et leur voyage, enfin l'abolition de l'esclavage, qui, comme dans les champs de coton du sud des États-Unis, n'a pas « donné » la liberté, vers laquelle ils foncent « droit dans un mur » mais rencontrent parfois une autre sorte de dépendance sans maitre.
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Il n'a pas eu une vie facile, Edmond Albius. Cet esclave de l'île Bourbon qui a découvert à l'âge de 12 ans la technique de la fécondation de la fleur de vanille. Il aura mené une vie à peu près agréable avec son maître, Ferréol, qui lui a fait découvrir sa passion pour le jardinage et une certaine idée de la botanique. Mais en tant qu'esclave, il n'en retirera aucune gratitude ni aucun profit, et n'aura aucune idée du gigantesque commerce qu'il aura entraîné. La vanille "Bourbon" connaîtra effectivement un essor considérable qui dépassera la production de la canne à sucre pendant plusieurs années. de plus, à l'abolition de l'esclavage, on le verra errer dans le nord de l'île à la recherche d'un travail, comme des milliers d'affranchis. Après quelques années de misère en prison pour vol et un mariage de cinq ans où il connaîtra le bonheur, il finira ses jours oublié de tous, et mourra dans l'indifférence générale.
Gaëlle Bélem nous fait revivre avec brio la vie à la Réunion au XIXe siècle. Il en fallait du courage pour s'exiler dans les "colonies" ! Certains y ont fait fortune mais pour la plupart des migrants, la vie était rude. Je ne parle même pas des esclaves. C'est un livre qui se lit facilement et agréablement.
On peine à imaginer ce que fut la découverte de la vanille, tant nos desserts en sont de nos jours saturés. Merci Edmond Albius.
C'est un livre que je recommande à tous ceux que le sujet intéresse.
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Le mystère quant à l'identité du fruit le plus rare est vite levé,mais peu importe car l'intérêt du roman ne réside pas dans ce secret!
J'ai beaucoup aimé l'écriture de Gaëlle Bélem.Ses incursions de vocabulaire et expressions créoles,loin d'alourdir le texte,y apportent la singularité du contexte dans lequel se situe l'histoire. Son humour malicieux, teinté d'une fausse naïveté m'a immédiatement convaincue que ma lecture serait agréable. J'ai adoré la façon dont elle explique qu'après que Dieu ait passé pas mal de temps à créer toute la complexité de la flore,le diable " sournois et mal intentionné comme d'habitude " avait lui aussi semé de mauvaises graines, obligeant Dieu à créer les botanistes pour aider les hommes à les discerner! Ainsi,Edmond a sept ans lorsqu'il postule avec assurance à ce poste proposé par Dieu.
Historiquement, la vie d'Edmond Albius m'a permis de découvrir tout le parcours de cette plante,de sa découverte par Cortes avec les Aztèques, en passant par les jardins de le Nôtre,la Cours de Louis XVIII puis toutes les grandes tables du monde.
Surtout, c'est l'histoire réelle de ce petit orphelin de naissance,noir et esclave qui a capté toute mon attention et mon empathie.
Bien qu'il soit recueilli par Ferreol un botaniste blanc qui le nommera très vite son "ti gâté pourri" et lui permettra d'échapper au dur labeur des champs de canne à sucre,pour grandir dans un jardin d'Eden, le parcours d'Edmond sera marqué par l'injustice et le racisme structurel du colonialisme.
Même la relation père/ fils sera empreinte de ce racisme, car il n'est pas si simple d'assumer son attachement pour un esclave noir. Dans ce contexte la banalité de la rivalité père/fils prend une toute autre ampleur. Comment accepter qu'après des années de recherche, ce soit un esclave noir de douze ans qui découvre le secret de ce fruit si rare?!
De malheurs en malheurs, Edmond ne perd jamais espoir et quand la liberté ne tient pas ses promesses, il espère en l'amour.
Je ne pense pas être la seule à n'avoir jamais entendu parler jusqu'à ce livre,d' Edmond Albius,et ceci n'est pas le fruit du hasard, mais la conséquence d'une société incapable de reconnaître son racisme ni surtout de perdre son pouvoir. Pas question de mettre en péril " la verticalité des pouvoirs si durement installé à coups de barre à mine au XVII ème ."
Alors, par son roman Gaëlle Bélem permet enfin à Edmond Albius d'être reconnu pour ce qu'il était : l'inventeur de la fructification de cette plante rare dont l'île Bourbon deviendra le premier producteur mondial.
" Edmond meurt les yeux ouverts comme ces morts dont on se demande s'ils reposent en paix"
Grâce à vous, madame Bélem, je pense qu'Edmond peut enfin fermer ses yeux...
Je n'utiliserai plus jamais ce fruit sans avoir une pensée attendrie pour Edmond.
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Sur cette Île Bourbon, ensuite Île de la Réunion du XIXe siècle, « où tout meurt vite, les hommes autant que les fleurs », la végétation est aussi flamboyante que le climat est hostile. La vie de la plupart des colons français, à l'instar de Ferréol Bellier-Beaumont, botaniste, n'est guère opulente encore ; mais celle-ci est incomparablement plus dramatique lorsque l'on naît Noir donc esclave, orphelin de mère et de père inconnu, à l'instar d'Edmond, nouveau-né confié à Ferréol pour essayer de le consoler de son veuvage prématuré. L'enfant noir, « ti gâté pourri », apprendra de son père adoptif les noms latins et les secrets de culture de toutes les plantes tropicales, et notamment des orchidées qui sont la marotte de Ferréol, mais l'on ne s'encombre pas de lui apprendre à lire et à écrire, et son ambition de devenir botaniste, comme Ferréol ou comme Linné, sera reçue comme une insoumission saugrenue, inadmissible et honteuse. Lorsque le garçon de douze ans découvre à force d'observation et d'obstination la méthode manuelle qui permet de féconder les vanilliers, accomplissant un rêve de succès que son père adoptif nourrissait pour lui-même, la découverte sera partagée coram populo, comme l'on montre le spectacle d'un enfant prodige, mais personne ne songera un instant à protéger l'avenir du jeune esclave, ni même à lui assurer la notoriété et la gratitude qu'il mérite. En effet, la reconnaissance de ce qui serait dû à un esclave s'il était titulaire de droits est proprement impensable, quels que soient les sentiments d'affections (mais aussi de jalousie) qui lient un vieil homme à son fils de coeur.
Du côté social et politique, l'abolition de l'esclavage en 1848 décidée en Métropole et nullement adoptée dans les esprits des colons de l'Île, s'avère dérisoire, prématurée, néfaste en l'absence de toute préparation, réparation, politique sociale... D'autant plus dans un contexte où n'est laissé cours qu'à une accumulation proto-capitaliste sauvage et anarchique, et où la justice s'avère arbitraire, approximative et fondamentalement raciste.
L'histoire romanesque de la vie d'Edmond devenu Albius, « Le plus blanc » d'après le nom latin qu'il s'est choisi tel celui des plantes qu'il connaît sur le bout des doigts, reconstituée sur la base de quelques rares fragments d'archives départementales et sans doute d'après la mémoire orale des Noirs réunionnais, peut se lire comme celle d'un homme qui « comme plus d'un inventeur, ses pareils, a vécu misérable et est mort oublié » (cit. p. 235). Elle peut se lire aussi comme un récit de racisme ordinaire apte à broyer le destin et les mérites de toute personne racisée, par simple effet systémique, par-delà les aléas individuels, chances et malchances, affects et deuils qui échouent à chacun durant son existence.
Dans la prose de l'autrice on remarquera la richesse des descriptions, notamment végétales, le charme des termes et phrases créoles parfois restitués et plus généralement une narration qui laisse sa place à la forme du conte transmis par voie orale.
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critiques presse (4)
LePoint
04 décembre 2023
Dans cette biographie romancée où se mêlent merveilleux, mythologie créole et folklore réunionnais, l'autrice revient sur la vie de ce jeune esclave orphelin prédestiné comme ses semblables à une vie de labeur, de souffrance et d'anonymat.
Lire la critique sur le site : LePoint
LeMonde
25 septembre 2023
L’écrivaine livre le facétieux roman de la rencontre d’Edmond Albius, esclave adopté par un botaniste de l’île Bourbon, et d’une orchidée.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Marianne_
22 septembre 2023
Nous n’avions jamais entendu parler d’Edmond Albius avant que Gaëlle Bélem, étincelante voix réunionnaise de la littérature, ne lui consacre ce joli livre, Le Fruit le plus rare ou la vie d’Edmond Albius.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LaLibreBelgique
08 septembre 2023
Dans "Le fruit le plus rare ou la vie d'Edmond Albius", l'écrivaine française Gaëlle Bélem remonte le fil de la découverte de l’une des épices les plus prisées de l’histoire de l’humanité.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Il s’appelle Edmond, il a douze ans. Dans un XIXe siècle fade comme la pluie, où le peuple mange utile, loin de tout souci de goût, de présentation ou de parfum des aliments, Edmond vient de produire une nouvelle épice. Dans un siècle donc où on n’a l’habitude que de deux saveurs, l’amer des margozes et l’acide du citron-galet, où le sucre de canne est rare, dans un siècle disions-nous où la patate douce, le pain et les aigreurs d’estomac triomphent, lui Edmond, douze ans, apporte au monde occidental une saveur nouvelle, un arôme oublié depuis le XVIe siècle. L’arôme vanille.
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1529. Cortés prend le chemin du retour. En longeant les potagers flottants de sa nouvelle Espagne, il arrache quelques boutures de vanille pleines de fleurs. Chose promise, chose due. Il avance au milieu des oiseaux-mouches, des coccinelles et des abeilles sans se douter que celles-ci sont les gardiennes d’un très grand secret. C’est une abeille qui féconde la vanille. Sans elle, point de fruit. Tandis que les Aztèques emportent dans leur tombe le secret de leur plante sacrée, Cortés écrase d’un coup de pied une saleté d’abeille qui fait mine de lui barrer la route. Sous son bras, une caisse emplie de gousses de vanille noir de jais, un peu grasses, à la fois souples et brillantes. Dans l’autre main, des lianes de vanille aux feuilles encore vertes. Il sourit déjà aux pesos que cette épice va lui rapporter, à la renommée qui s’attachera à son nom.
Debout sur le pont du bateau, il pense une dernière fois à ces barbares d’Aztèques si réfractaires au christianisme. À son second qui demande que faire des derniers survivants de cette civilisation crépusculaire, Cortés par l’entremise d’Edmond qui connaît par cœur cette histoire répond simplement :
— Massacrez-moi ces égorgeurs ! Et cap sur Séville.
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Si Charles Morren dit vrai, les fleurs de vanille sont les fleurs les plus éphémères qu’Edmond, Ferréol et même Isidore connaissent. Éphémères parce qu’elles se fanent au bout d’une seule journée. Au moins trois années de patience avant qu’un vanillier donne ses premières fleurs. Trois mois et demi, septembre à décembre, pendant lesquels la vanille est en fleur. Une durée de vie d’une seule journée pour chaque fleur soit à peine douze heures pour la féconder. Et encore, s’il fait très chaud, elle se referme et meurt avant la fin de l’après-midi. Au moins six semaines à attendre, si la fécondation est réussie, pour que la gousse de vanille atteigne sa taille maximale. Neuf mois de plus pour qu’elle soit mûre et prête à être cueillie. Au total, près d’un an entre la pollinisation et la récolte du fruit mûr. Isidore se dit qu’en terme de merdier végétal, Edmond peut difficilement trouver pire, Edmond réplique qu’en matière de fruit rare, il peut difficilement trouver mieux.
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Depuis qu’Edmond a reçu le baptême des mains du père Dalmond, il a officiellement remplacé le Mulungu de ses frères esclaves par un certain Jésus attaché à une croix comme à un tuteur et que Ferréol considère comme le Père tout-puissant, au-dessus de Pamphile, au-dessus de son arrière-grand-père Martin Joseph. En secret Edmond prie à tout vent et fait un bouillon de sa double culture catholique et makondé, créole et zoreil. Le ciel est trop grand pour abriter un seul trône, la vie trop âpre pour n’amadouer qu’une idole.
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C’est peut-être cela l’amour ; vingt-trente ans, on dessine l’être idéal de pied en cap, la couleur de ses yeux, l’arrondi de ses mains, son tempérament, sa famille, son pays, son gagne-pain – on ne transige pas, tout lui, tout elle, sinon rien – pour finalement s’amouracher de l’absolu contraire et implorer le pardon de l’univers d’avoir jadis été si couillon.
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