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Critique de Cancie


Alors qu'un cyclone vient de passer sur l'île Bourbon, ancien nom de l'île de la Réunion, Elvire, dans une énième tentative pour lui rendre le sourire, remet à son frère, Ferréol Bellier Beaumont, veuf inconsolable, passionné de botanique et grand propriétaire terrien à Sainte-Suzanne, un orphelin noir âgé de quelques semaines. Il s'appelle Edmond, est né en 1829 sans que l'on sache la date exacte de sa naissance, de parents esclaves. Mélise, sa mère, propriété de Mademoiselle Elvire, est morte lors de l'accouchement. Il aura un patronyme bien plus tard, après l'abolition de l'esclavage, en 1848 : Albius, qu'il a choisi lui-même.
Si Ferréol hésite en voyant ça, sous-entendu ce bois d'ébène, paquet vivant de tracasseries manifestes, il a le pressentiment d'un possible pansement sur ses plaies mal cicatrisées, une sensation de seconde chance, et le garde.
Ferréol, ce botaniste amoureux d'orchidées, promène le petit enfant dans une brouette, dans son jardin et dans sa vaste pépinière. « C'est une immense kermesse de parfums et de couleurs, bruissante d'abeilles, qui bat son plein autour de la brouette qui transporte Edmond. »
C'est ainsi que l'enfant découvre la botanique et la genèse des plantes. Bien qu'analphabète, il désigne bientôt les plantes dans le jargon scientifique des Linné et Jussieu comme le dira plus tard Volcy-Focard.
Et c'est en 1841, âgé de douze ans, après avoir fait maints essais, qu'Edmond découvre le geste de pollinisation de la fleur du vanillier qui permet la production de gousses. Il vient de faire une découverte révolutionnaire : un nouveau fruit, un nouvel arôme !
Dans le fruit le plus rare, Gaëlle Bélem retrace la vie d'Edmond Albius, un esclave pas comme les autres, tout en brossant un tableau humain et social du XIXe siècle sur l'île Bourbon avec au coeur du récit, ce lourd passé colonial et l'esclavage qui ne sera aboli que le 20 décembre 1848.
Elle décrit avec un tel talent le sublime jardin de Ferréol, qu'il entretient avec tant d'amour et de passion, qu'il est impossible de ne pas être envoûté et enivré par les parfums et les couleurs de cette flore luxuriante, tout comme elle sait, ensuite, nous faire saliver avec les fameux cannelés ou encore les succulents pasteis de nata.
Il est intéressant de voir que d'une dizaine de kilos de vanille exportés en 1848, l'île Bourbon est passée, dès la fin du XIXe siècle, à deux cents tonnes !
Avec une recherche bien documentée, elle parvient à redonner vie à ce personnage oublié, que pour ma part, je ne connaissais pas. Un autre personnage est indissociable d'Edmond, il s'agit de Ferréol, souvent difficile à cerner, mais en quête d'amour lui aussi.
J'ai suivi avec curiosité et grand intérêt cet enfant passionné de botanique, épris d'amour pour sa mère morte, qui se prend à rêver de faire donner des fruits au vanillier jusqu'à ce que, à force d'essais et d'obstination, il y parvienne.
Le récit est émaillé d'expressions créoles, le rendant très vivant.
Malheureusement, cette histoire vraie, envoûtante, délicieuse à certains moments laisse un goût amer.
Si certains grands propriétaires se sont enrichis, Edmond, lui, bien qu'affranchi à l'âge de dix-neuf ans, va vivoter, trouvera quelque temps l'amour auprès de Marie-Pauline, avant de s'éteindre dans la misère le 9 août 1880, à l'âge de 51 ans.
Avec ce deuxième roman, le fruit le plus rare, Gaëlle Bélem réhabilite en quelque sorte Edmond Albius, cet ancien esclave devenu un botaniste exceptionnel en découvrant le processus de fécondation manuelle de la vanille Bourbon, resté dans l'ombre trop longtemps et on ne peut que l'en remercier !
(À noter que ce n'est qu'en 1981, que la municipalité de Sainte-Suzanne a érigé une stèle sur le lieu de naissance d'Edmond Albius à Bellevue et qu'une statue en bronze de celui-ci se dresse depuis 2004 au coeur d'un mémorial sur l'esclavage, reconnu comme crime contre l'humanité.)

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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