Rien ne m'échappe

J’ai vu assez de films pour savoir comment se termine ce scénario. Mon cœur s’affole à l’idée qu’il arrive malheur à Jade et aux enfants. Quelles que soient les raisons qui ont poussé ce type à s’introduire de force dans ma maison et à menacer ma famille, j’imagine que c’est parce qu’il n’a pas d’autre option. Il est au pied du mur, et manifestement désespéré. Je refuse de penser aux conséquences si j’échoue.

Le marché est volatil, et tous les banquiers que je connais font du surplace, en priant que l’économie ne boive pas la tasse comme le Titanic. J’ai pour consigne de ne pas bouger jusqu’à nouvel ordre.

Il déteste être confronté à une grosse demande. Il aime qu’on lui passe de la pommade, qu’on l’échauffe, qu’on le masse, et il s’éclate à résoudre les problèmes d’argent. C’est de la psychologie de base, vraiment. Les gens sont plus ouverts à une proposition s’ils font partie de la solution.

" Ne venez pas me voir avec une liste de problèmes. "C’est ce que je prêche toujours à mes employés. « Apportez-moi les solutions. » Identifier les questions, évaluer vos options, vous attaquer aux éléments point par point. C’est ce que je leur répète sans cesse.

Il le sait, évidemment. Il sait que, tant qu’il reste avec mes enfants, je n’irai nulle part. Il sait que, si je réussissais par miracle à m’échapper, ma priorité serait d’aller les retrouver, ce qui signifie qu’il sera prêt à m’accueillir. Je l’imagine assis dans un siège face à la porte, tapant l’arme sur son genou. À attendre.
Mais pourquoi ? Pour quelle raison ? Qu’est-ce que cet homme veut de moi ?

Si par malheur il y avait des coups de feu. À cette pensée, je sens mon monde vaciller. Je tremble – non, je convulse de peur, de contrariété et de fureur. S’il leur fait du mal, s’il les touche, je jure que je le tuerai à mains nues.

Je dirais que j’ai commis un paquet d’erreurs. Que je me suis laissé emporter par le faste et la notoriété, par la médiatisation, les soirées branchées et les gens qui venaient déjeuner chez Lasky juste pour se prendre en photo avec moi. Quel est ce vieux dicton, déjà ? Plus vous vous élevez, plus dure sera la chute. Ce n’est pas une excuse, mais j’espère que c’est une explication, au moins.

Parce que, qu’on m’apprécie ou pas, tous ces gens dépendaient de moi pour gagner leur vie. Ils dépendaient de moi pour bénéficier d’un salaire et d’une assurance maladie. Ma mère dépendait de moi. Jade et les enfants dépendaient de moi. C’est moi qui leur garantissais le gîte et le couvert.

Le simple fait que vous soyez chef ne signifie pas que vous avez les épaules pour diriger votre propre restaurant. Tout le monde n’a pas l’étoffe d’un entrepreneur.

Elle me défie du regard, comme si je n’avais pas accès à son portable, comme s’il n’allait pas me venir à l’esprit de le prendre dans la seconde pour vérifier.