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Critique de Jazzbari


Dans ce livre iconoclaste, la poésie et la légende sont encre. Ou plutôt une potion magique dans laquelle Tahar ben Jelloun trempe sa plume pour donner une voix à la femme marocaine. Ainsi invente-t-il Harrouda, l'insoumise, la sorcière, l'hérétique.

Erotique aussi, elle hante les fantasmes et les nuits des enfants. Dans ce Maroc coincé entre traditions séculaires et religion à la lettre, elle se pose comme leur unique exutoire pour échapper à leur quotidien embrigadé par les ritournelles de leur vieux maître coranique. Comme ils ne croient pas à un seul mot de ses homélies, ils le tuent et le regardent expirer dans « une mare de mensonges dissous dans les déchets d'une vie indéfendable ».

Obnubilé par le sexe, l'enfant narrateur, accompagne souvent sa mère dans les bains maures et voyage voluptueusememt dans l'intimité des femmes. Cet endroit magique où les corps féminins, chairs crues et délicieuses, se livrent en toute liberté, loin du regard réprobateur de cette société clivante. Une sorte de prolongement du corps sensuel de Harrouda, dans lequel s'accomplissent chaque nuit ses délires et ses fantasmes.

Pour lui, la circoncision est une amputation, même si elle lui donne le droit d'accès au « marché de la virilité », une sorte de sauf-conduit, de passeport sexuel.

Portraitiste, l'enfant brosse avec passion les deux villes phares du Maroc, Fass et Tanger, étendues sur le sable et la légende. La première abrite en son sein deux personnalités dichotomiques : Harrouda incarnant le mal absolu et le saint Moulay Idriss le bien absolu. Les femmes invoquent ce dernier pour l'amélioration de leur quotidien entravé.

L'islam rigoriste régit en effet cette contrée où la femme est un « être de seconde main » et n'a pas voix au chapitre. « Oser la parole, c'était provoquer le diable et la malédiction. Oser la parole, c'était déjà exister, devenir une personne ! ». Elle demeure solitaire à l'intérieur de son propre foyer et prisonnière d'une idéologie la reléguant à la lanterne rouge de la société. Une femme-machine à double fonction : fabriquer le plaisir gustatif et le plaisir charnel. Révulsée par cet état de fait, Harrouda promeut un rêve à toute épreuve : « libérer le territoire » de ses coutumes misogynes, « enlever les femmes du harem » du silence et« dresser les oiseaux » de la liberté.

Cette quête de la liberté est poétiquement symbolisée par les enfants-oiseaux manifestant leur ras-le-bol et leur colère contre les injustices du jugement avant-dernier. Ils réclament le paradis, donc la liberté et la prospérité, et envahissent les rues. Mais les poulpes et les rapaces, figurant les policiers et les soldats, à la solde d'un régime autoritaire, les répriment avec force violence. Les plus chanceux sont jetés dans le puits, c'est-à-dire, la prison. Et même Harrouda, la putain, la folle, n'échappe pas à ce goulag des plus brutaux.

Mais cette meute de tortionnaires oublie que cette femme est sirène immortelle et intraitable sur sa mission : octroyer aux enfants et aux femmes le nectar de la liberté.

« Harrouda », livre éponyme, est en somme un kaléidoscope de thèmes et de genres. Conçu à la frontière du roman, de la poésie et de la légende, il convoque l'histoire ancienne et contemporaine du Maroc dans un vaste tour d'horizon thématique et polymorphique. Une ode exquise à la liberté de la femme arabe.

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