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Critique de Calimero29


Dans un pays riche, qui semblait ne pas pouvoir sombrer dans la violence, où on parle français, la guerre fait rage. Les habitants d'un immeuble doivent être évacués, de force s'il le faut; ils ont une heure pour préparer un seul sac par personne, pour abandonner les animaux avant de partir pour un ailleurs inconnu et tout laisser derrière eux sans se retourner.
L'auteure nous fait vivre cet arrachement au travers de personnages très différents, aux comportements très différents :
*Manon, qui vient de perdre son mari dans un massacre et sa fille Jeanne, 5 ans qui doit surmonter son immense douleur pour sa fille
*Un couple de septuagénaires où le mari est odieux, où la femme est soumise, humiliée, dont la seule consolation est un vieux chien que le mari veut abandonner à une mort certaine et pour la vie duquel, elle se révolte pour la première fois
* Marek, d'origine polonaise, qui a déjà connu l'exil et qui refuse de partir et d'abandonner ses livres qui sont toute sa vie
* Suzanne, une dame âgée, qui est résignée et s'offre un dernier moment de bonheur, de couleur, en achetant un bouquet de tulipes alors qu'elle manque de tout
* Une famille nombreuse de cinq personnes
* Shoresh, réfugié kurde avec sa compagne et son frère sourd et muet, qui vivent un deuxième arrachement
* Deux âmes, Guy, SDF, et son chien Totem qui ont uni leur solitude en une relation profonde
Ce roman a les caractéristiques d'une tragédie grecque, fondée sur une unité de lieu (un immeuble) et de temps (1 heure), renforcée par la désolation d'un hiver très rude qui maltraite les corps. Les raisons de la guerre ne sont pas évoquées car nous ne sommes pas dans une étude géo-politique mais dans l'humain, dans la réalité de ceux qui souffrent au quotidien de la folie de leurs dirigeants, quelle qu'elle soit. Ce qui m'a frappée, en premier lieu, c'est la très grande dignité (à part le septuagénaire) de ceux qui sont brutalement arrachés à leur vie, sans espoir de retour, face à une sorte de mort.
Ce que chacun emporte dans l'unique sac montre qui il ou elle est, sans masque, sans faux-semblants. Les objets sont porteurs d'instants de vie, certains doivent être écartés, laissés derrière comme les souvenirs qu'ils évoquent .
Les chiens jouent un rôle majeur ; les militaires refusent de les emmener pour des raisons sanitaires. Mais un chien pour quelqu'un qui est seul, dépouillé de tout (Guy, le SDF) ou se sent seul (la vieille dame maltraitée par son mari), c'est un compagnon, un ami, de la chaleur de la confiance, du partage et l'abandonner, c'est comme abandonner un membre chéri de sa famille. J'ai eu les tripes nouées, le coeur au bord des lèvres, lorsque les militaires abattent le chien de Guy, le vouant au désespoir sans fin.
J'ai gardé le premier chapitre pour la fin alors qu'il ouvre le roman mais il me paraît être porteur du message que veut transmettre l'auteure comme une prédiction de pythie ; il est d'ailleurs intitulé « Je ». C'est un réquisitoire qui fait mouche, contre la société actuelle, fragile, matérialiste, aveugle aux signes précurseurs et un avertissement sur ce qui vient et pourrait être la guerre ou toute autre violence de masse. C'est un roman à portée universelle, intemporel et qui parle à chacun d'entre nous car personne n'est à l'abri, qui nous fait immanquablement nous poser la question : « Et moi, qu'est-ce que j'aurais emmené ? »
Cela faisait longtemps que je n'avais pas été aussi émue, secouée par un roman et surtout par l'écriture. Elle est incandescente, et malgré l'arrière-plan dramatique, empreinte de poésie. C'est un primo-roman magistral qui laissera longtemps sa trace dans mon esprit et dans mon coeur.
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