En tout ce qui précède, je n'ai considéré que des masses, bourgeoises ou populaires, des rois, des ministres, des chefs politiques, soit cette partie de l'espèce humaine humaine que j'appellerais laïque, dont toute la fonction, par essence, consiste dans la poursuite d'intérêts temporels et qui ne fait, en somme, que donner ce qu'on devait attendre d'elle, en se montrant de plus en plus uniquement et systématiquement réaliste.
A côté de cette humanité (...) on pouvait jusqu'à ce dernier demi-siècle en discerner une autre, essentiellement distincte, et qui, dans une certaine mesure, lui faisait frein ; je veux parler de cette classe d'hommes que j'appellerai les CLERCS, en désignant sous ce nom, tous ceux dont l'activité, par essence, ne poursuit pas de fins pratiques, mais qui, demandant leur joie à l'exercice de l'art ou de la science ou de la métaphysique, bref, à la possession d'un bien non temporel, disent en quelque manière, "Mon Royaume n'est pas de ce monde".
Et de fait, depuis plus de deux mille ans jusqu'à ces derniers temps, j'aperçois à travers l'histoire une suite ininterrompue de philosophes, de religieux, de littérateurs, d'artistes, de savants - on peut dire presque tous au cours de cette période - dont le mouvement est une opposition au réalisme des multitudes (...)
Or à la fin du XIXè S., se produit un changement capital, les clercs se mettent à faire le jeu des passions politiques...
Et dès lors, unifiée en une immense armée, en une immense usine, ne connaissant plus que des héroïsmes, des disciplines, des inventions, flétrissant toute activité libre et désintéressée, revenue de placer le bien au delà du monde réel et n'ayant plus pour dieu qu'elle-même et ses vouloirs, l'humanité atteindra à de grandes choses , je veux dire à une mainmise vraiment grandiose sur la matière qui l'environne,
à une conscience vraiment joyeuse de sa puissance et de sa grandeur.
Et l'histoire sourira de penser que Socrate et Jésus-Christ sont morts pour cette espèce.
1924-1927;
Je ne suis pas la bouche qu'il faut à ses oreilles
Le démocrate, ai-je dit, peut, s’il est fidèle à son essence, mettre fort mal en point l’adversaire. Celui-ci, en effet, a pour loi le mépris de toute injonction morale. Mais il n’en saurait convenir sous peine d’une très dangereuse impopularité.
Les apôtres de l’ordre tiennent couramment que c’est eux qui incarnent la raison, voire l’esprit scientifique, parce que c’est eux qui respectent les différences réelles qui existent entre les hommes ; réalité que la démocratie viole cyniquement avec son romantique égalitarisme.
[...] à moins d’appeler pensée tout ce qui s’imprime, je ne vois pas ce que la
pensée a perdu par la disparition d’un Maurras ou d’un Brasillach. Il ne faudrait pourtant pas prendre pour de la pensée l’art de jongler avec les sophismes comme Robert-Houdin avec ses gobelets ou le simple talent littéraire.
La loi du clerc est, quand l'univers entier s'agenouille devant l'injuste devenu maître du monde, de rester debout et de lui opposer la conscience humaine.
Les clercs exercent les passions politiques avec tous les traits de la passion : la tendance à l'action, la soif du résultat immédiat, l'unique soucis du but, le mépris de l'argument, l'outrance, la haine, l'idée fixe.
Pendant deux mille ans, l'humanité faisait le mal mais honorait le bien [...] Or, à la fin du XIXème siècle, se produit un changement capital : les clercs se mettent à faire le sens des passions politiques ; ceux qui formaient un frein au réalisme des peuples s'en font les stimulants.
L'humanité moderne entend avoir dans ceux qui se disent ses docteurs, non des guides, mais des serviteurs.