- Combien, Will ? hasarda le pasteur.
- Exactement, je ne sais pas. J'ai arrêté de compter après les vingt premières. C'était tellement facile, vous n'avez pas idée ! Il me suffisait juste de repérer une proie, de la suivre, d'attendre le moment propice... Ni vu ni connu. L'Amérique est un grand pays. J'aurais encore pu continuer pendant des années.
Si la vie se résume à un tel monceau d'injustice... quelle absurdité !
Les coups reprirent. Il décrypta.
- Radimir.
Puis une autre question.
- Koulak ?
Timofey répondit par le seul qualificatif qui lui paraissait adéquat.
- Innocent.
- Ici, tous coupables.
- Passeport perdu.
- Pire.
- Pourquoi .
- Ils vont trouver quelque chose.
- Comment faire ?
- Avoue. Tu seras tranquille.
- Avouer quoi ?
- Ce qu'ils veulent.
- Et ensuite ?
- Goulag. Vivant.
Même s'il s'en doutait, Timofey sentit une main glacée se poser sur sa nuque. Au bord d'un découragement si intense qu'il ressemblait presque à l'agonie, il trouva encore la force d'envoyer :
- Et toi ?
- Décollé une affiche. Besoin papier cigarette. Comportement antisoviétique.
Les questions courtes prenaient quelques secondes. Cette réponse prit une minute. Timofey demanda :
- On t'interroge ?
- Non. Fini. Jugé.
- Combien ?
- Trois ans.
Timofey serra les lèvres et les paupières. Trois ans d'exil pour une affiche décollée ?
Je ne sais pas si j'ai une conscience, mais je suis certain d'une chose qui me trouble. Je n'arrive pas à éprouver de vrais remords.
Ton père n'a rien fait de mal, et nous non plus. Mais nous vivons une époque tragique, personne n'est à l'abri d'une erreur ou d'une injustice.
La nature humaine est étonnante, vous ne trouvez pas, révérend ? Chacun porte en lui une part d'abomination. L'homme a besoin d'exorciser ses démons. Il aime se faire peur quand il est à l'abri et il jubile à l'idée du mal que pourrait subir son prochain, sans se douter qu'il est, lui-même, le prochain d'un autre.
[p131]
Quand les hommes comprendront que ceux qui arrivent à un arrive à tous, le monde entrera dans une ère de paix.
C’est ainsi que fonctionne le système depuis la nuit des temps, on nous diffame pour justifier notre extermination. On nous massacre. Ensuite, on nie les crimes et on les couvre…pour pouvoir tranquillement achever le travail.
Le tueur, qui aimait tant « posséder » pendant ses années de cavale, au point qu’il ne pouvait s’empêcher de chaparder entre deux crimes, vivait ses dernières heures dans le dénuement le plus complet. C’est à peine si l’administration pénitentiaire lui avait laissé une brosse à dents, de crainte qu’il tente de l’avaler pour mettre fin à ses jours. Une façon comme une autre, pour lui, de s’échapper une dernière fois après ses deux évasions spectaculaires. Dan Hag avait prévenu les gardes à l’issue de sa dernière confession : Birdy n’aimait pas perdre le contrôle des évènements et encore moins l’idée d’être livré, impuissant, aux rouages du système. Par peur d’être exécuté, il pouvait devenir suicidaire. Une contradiction à ajouter aux facettes multiples d’un personnage déjà complexe que personne n’avait vraiment réussi à percer.