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Critique de Deleatur


Avec Pierre Benoît, j'en suis longtemps resté à l'Atlantide, et peut-être m'en serais-je définitivement contenté. Mais une conversation ici-même, il y a quelques mois, m'a poussé à vouloir creuser un peu cet auteur, que j'avais peut-être un peu facilement catalogué parmi les pompes républicaines d'antan. Quand j'ai déniché L'île verte dans son édition originale de 1932, je n'ai pu résister à la jolie couverture surannée ni au parfum de son papier jauni. Sur le moment, je n'ai lu que les deux premières pages : un canot à moteur qui remonte l'estuaire d'un fleuve immense sous un ciel lourd, longeant une île dont la végétation évoque une mangrove impénétrable ; un narrateur qui s'interroge sur les raisons qui l'ont poussé à venir s'installer là pour une ou deux saisons... J'ai refermé le livre, la tête déjà pleine d'exils équatoriaux, d'Orénoque et d'Amazone, d'Oubangui peut-être. Je me suis refusé à en savoir davantage avant de me plonger dans ma lecture, sentant monter une douce impatience au fil des jours, imaginant déjà celle, parmi toutes les histoires possibles, que l'auteur allait me proposer.
Parfois, on pourrait faire la critique non pas des livres que l'on a lus, mais de ceux que l'on a fantasmés. Cela pourrait même être un jeu littéraire fascinant, sans doute très proche de la fiction. Une foule de gens ont déjà eu cette idée, j'en suis bien certain. De toutes façons je me connais : j'ai toujours eu une propension navrante à inventer l'eau chaude, et pire que cela : à m'en émerveiller. Toujours est-il que je me suis peu à peu convaincu que j'allais découvrir une sorte d'Au coeur des ténèbres français...
Et puis le moment de la lecture est venu... C'est peu dire que le rêve s'est dissipé : patatras, l'estuaire exotique n'est plus que celui de la Gironde, très joli, je n'en doute pas, mais bon. L'île verte n'est là dedans qu'un gros banc de sable qui s'est boisé avec le temps et que l'on a mis en culture. Quant à mon narrateur, aventurier désabusé du bout du monde, c'est Benoît lui-même, tout frais débarqué du train de Paris en gare de Bordeaux. Il vient là chercher le sujet de son prochain roman... Consternation de ma part, je n'ai pas honte de le dire.
Je tente néanmoins de poursuivre ma lecture sans parti pris.
L'histoire raconte comment vers le milieu du XIXème siècle, un naturaliste de Bordeaux se prend de passion pour l'île et ses oiseaux migrateurs, au point de venir s'y installer définitivement en abandonnant une affaire prospère. Cette jolie trame de fond écologiste dans un roman de 1932 éveille l'intérêt, mais ce n'est précisément qu'une trame de fond. Pour le reste, il faut bien avouer qu'on patauge dans le mélodrame bourgeois, à grands coups de complots intimes entre la cousine du naturaliste, sa fille et son associé, afin de mettre la main sur le commerce délaissé par le patron. Sous la plume de Benoît, la passion du naturaliste pour ses oiseaux fait de lui un hurluberlu aux frontières du ridicule. A l'inverse, les trois autres personnages, uniquement préoccupés de leurs petits intérêts matériels, sont manifestement considérés comme gens plus raisonnables.
Ca se lit sans effort, et ce n'est pas ennuyeux, il faut le reconnaître. Mais enfin, avec ces personnages si convenus et des dialogues très statiques comme seuls moteurs de l'action, on se situe quand même dans le drame de boulevard assez empesé. Tout au long de ma lecture, des flashes me revenaient de cette vieille émission : Au théâtre ce soir... Et à la fin, je m'attendais presque à ce que les personnages viennent en coeur nous annoncer que les décors étaient de Roger Harth, et les costumes de Donald Cardwell.
Comme je suis un brave garçon, je lui mets quand même trois étoiles, pour son début mais également pour sa fin, très belle et enfin à la hauteur du sujet. Et puis aussi pour tout ce plaisir que le livre m'a procuré par anticipation. De l'importance des préliminaires, en somme...
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