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Critique de mesrives


Les sorcières de Vardø de Anya Bergman nous emmènent vers les confins septentrionaux de la Norvège du 17ème siècle dans le Comté du Finmark. Alors que la population est encore meurtrie par le souvenir du fléau de la Grande peste ou peste du Diable (1654), et subit une crise économique du aux aléas climatiques, le Roi du Danemark et de Norvège dans une société luthérienne pieuse et superstitieuse durcit la chasse aux sorcières, des femmes tenues responsables de changements climatiques, de naufrages de vaisseaux commerciaux ou de bateaux de pêcheurs sont mises en danger ... un acte de bienveillance envers ses sujets pour les protéger.

A travers trois voix féminines Anya Bergman nous immerge dans le quotidien de cette contrée reculée durant plusieurs saisons à arpenter la péninsule de Varenger bordée par la mer de Barents, de Ekkerøy à la forteresse de Vardø, à proximité des terres des Samis au-delà du cercle polaire. du vent, du froid, des nuits sans jours, des jours sans fin, des cieux immenses, des conditions misérables dans la crasse et la puanteur ou dans un décor naturel à couper le souffle.

Issues de catégories sociales différentes, l'auteur dessine des tableaux de femmes audacieuses, courageuses, imaginatives, intelligentes et indépendantes qui pour des raisons personnelles luttent pour retrouver une liberté bafouée et échapper aux accusations d'avoir pactiser avec le diable en échange de pouvoirs maléfiques.

La narration débute au printemps 1662 avec l'arrivée à la forteresse de Vardø d' Anna Rhodius, âgée de quarante sept ans, fille du médecin du Roi, herboriste et lettrée, sage-femme, reniée par son époux et disgraciée par son amant, Frederik III, fils de Christian IV (1577-1648) qui promulgua en 1617 la première loi contre la sorcellerie amorçant la vague des chasses aux sorcières. C'est grâce à ses correspondances et ses souvenirs, réminiscence de ses amours défunts et des jours heureux de son enfance que nous découvrons la cour du roi, la vie aisée menée à Copenhague mais aussi au près de sa famille en tant qu'« apprenti médecin » à Bergen. Est-elle vouée à être exécutée, cela Anna Rhodius ne le sait pas encore. Beaucoup de ruse et de patience seront nécessaires pour faire face au gouverneur danois du Finmark et de son redoutable bailli écossais pour qui le moindre désagrément ou incident ne peut-être que provoquer par les sorcières et leurs familiers (corbeaux, chats, chiens etc,,,) et qui n'a qu'une hâte, les torturer (supplice du chevalet, grésillons, vis à ailettes).

A quelques kilomètres au-delà de la Montagne du Domen, tenue comme un haut lieu du sabbat des sorcières, à Ekkerøy, nous faisons connaissance avec Ingeborg, une jeune fille faisant le deuil de son père et de son frère disparus en mer, un village de pêcheurs où de nombreuses veuves se serrent les coudes pour aller de l'avant. Mais Ingeborg elle aussi va devoir se faire violence pour venir en aide à sa mère accusée d'avoir copulé avec le diable qui n'est autre que le fils marié d'un riche et puissant marchand de la région… et qui est rapidement déportée à la forteresse de Vardø dans le trou aux sorcières, un vrai trou à rats avec une de ses compagnes.

Anya Bergman joue de l'alternance des voix au fil des pages qui peu à peu se chevauchent puis se rencontrent, les fils de leurs destins tenues par les Hildres se tendent jusqu'au jour du procès du 3 avril 1663. L'atmosphère lugubre dans lequel vivent les détenues dans l'attente de leur jugement et d'une aide extérieure permet de mieux cerner la peur, la détresse de ces femmes et jeunes filles ainsi que l'acharnement et la haine de leurs accusateurs dans cette région isolée loin du pouvoir central de Copenhague.
Anya Bergman dans ce cauchemar tragique vécu par les sorcières de Vardø essaime des moments lumineux avec l'évocation du folklore, des légendes, des mythologies nordique et same mais aussi de la sororité, source d'espérance et de force.

La figure de Maren, personnage solaire et flamboyant, vivant en harmonie avec la nature et les éléments qui porte le lourd fardeau d'être la fille d'une sorcière célèbre et déjà condamnée, une paria, représente tout au long du récit un symbole de résistance.

Inspiré de faits réels, Les Sorcières de Vardø de Anya Bergman relate la dernière chasse aux sorcières du Finmark lors des procès de 1662 à 1663. L'auteure en ranimant l'esprit de ces femmes détentrices de savoirs qui menaçaient le prestige d'hommes cupides, engoncés dans un esprit étroit couvert de religiosité et de superstitions et qui dérangeaient l'ordre social leur rend ici hommage. C'est en visitant le Mémorial de Steilneset, monument érigé à Vardø en commémoration des victimes brûlées en ce lieu que Anya Bergman a été interpelée « Si la torture ne suffisait pas à extirper les confessions voulues, la Cour pouvait ordonner le supplice de la nage: on jetait l'accusée à la mer pieds et poings liés et, si elle flottait, c'était la preuve qu'elle était bel et bien une sorcière. "L'eau était considérée comme un élément pur qui rejetait les impuretés", relate Liv Helene Willumsen. Au Finnmark, toutes les suspectes flottèrent et furent ensuite torturées… Peu en réchappèrent, les autres finirent au bûcher. » Soit soixante quatorze femmes de tout âge et quatorze hommes sames.

Les sorcières de Vardø fruit de recherches passionnées menées par Anya Bergman, lectures des comptes rendus du procès, collaboration avec l'historienne Liv Helene Willumsen de l'Université de Tromsø et Jorunn Jernsletten conservatrice au Várjjat Sámi Musea montre l'absurdité et l'obscurantisme du temps de ces chasses aux sorcières programmées qui s'appuyait sur le Malleus Malifecarum (« marteau des sorcières »), traité dont l'objectif était de démontrer leur existence et d'enseigner aux magistrats la façon et la manière de les identifier, interroger et condamner.

Roman historique emprunt de réalisme magique le tambour du noaidi, chamane sami, résonne longtemps apaisant les âmes en peine accompagné d'un joik s'élevant aux dessus des falaises déchiquetées, des bruits assourdissants des vagues et des cris incessants des oiseaux marins.

Une lecture immersion sur des terres arctiques longtemps assimilées à l'antichambre de l'enfer, le Nordkalloten fantasmé, occupé aussi par les Sames, peuple de magiciens et de sorciers et donc à éliminer.
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