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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2015, écrits, dessinés et encrés par Lee Bermejo, avec une mise en couleurs de Matt Hollingsworth. Bermejo était déjà l'auteur complet d'un récit de Batman assez bien troussé : Batman: Noël.

Un homme musclé et bien découplé se recueille au pied d'un Christ en croix. Sur son dos, il porte un tatouage de Saint Michel terrassant le dragon. Il se rend dans ses loges pour revêtir son armure. Pendant que les membres de son équipe lui assemblent sur le dos, il répond aux questions de la journaliste Sheila Sutter. Sur le mur qui entoure New Angeles (Los Angeles reconstruite après un tremblement de terre majeur), 2 gardes discutent du match à venir, et de la piètre qualité des commentateurs. À leur pied, un couple s'apprête à tenter de franchir le mur avec l'aide d'un passeur.

Le Saint des Suiciders entre dans l'arène pour affronter son opposant. C'est un combat jusqu'à la mort, où les combattants disposent d'une armure servant d'exosquelette, avec des armes blanches. Ailleurs un grand gaillard (le Kid) arrive comme immigrant clandestin, dans un containeur. Il est repéré et récupéré par Navarro qui le présente au caïd du coin. Les affaires peuvent continuer, et Kid va participer à des combats clandestins, à mort bien sûr. La ville de New Angeles est gérée par un conglomérat omniprésent appelé Mulholland Corp.

Même si le récit de Batman écrit par cet auteur s'était avéré satisfaisant, le lecteur vient avant tout pour ses dessins hyperréalistes, avec des détails concrets et une belle ambiance noire, pour lesquels il s'est fait connaître dans ses collaborations avec Brian Azzarello : Batman / Deathblow : After the fire, Luthor, Joker. Dès la première page, le lecteur est aux anges. La statue du Christ est impeccable, avec le plâtre légèrement granuleux, enlevé par endroit pour laisser apparaître une matière plus poreuse en dessous, avec un gros clou au travers des pieds pour insister sur la cruauté et la douleur. Saint est musculeux à la perfection, sa musculature restant plausible, à l'opposé de celle du premier superhéros venu. L'arme automatique tenue par l'un des gardes sur le mur est immédiatement reconnaissable dans ses détails réalistes. Les armures des combattants dans l'arène apparaissent comme étant fonctionnelles, grâce à leurs articulations bien étudiées. Les engins de mort automatiques de l'arène sont crédibles, comme s'ils avaient réellement été fabriqués.

Les décors sont somptueux de bout en bout. le lecteur peut voir New Angeles, protégée par le mur, avec encore des marques du tremblement de terre. Il constate la pauvreté des quartiers défavorisés à l'extérieur de l'enceinte. Il apprécie le luxe du manoir De Saint, lors de la visite de Sheila Sutter. Il aimerait pouvoir s'assoir sur l'un des tabourets du bar de Chloe, et prendre Charlie sur ses genoux. Bermejo réussit même à donner du caractère au passage dans les émissaires pour les eaux pluviales, tuyaux d'un diamètre impressionnant, éléments de décors passepartout déjà vus dans des dizaines de films.

Dans la mesure où les 2 personnages principaux sont des combattants massifs, le lecteur est fasciné par leur virilité, leur animalité, et leur manque de pitié. Ce sont des machines à tuer efficaces, brutales, professionnelles. L'artiste utilise différentes morphologies pour les personnages masculins, attestant d'une vraie diversité dans les individus. Les personnages féminins sont moins bien servis, à la fois quant au nombre de pages qui leur est dévolu, et quand à la morphologie identique pour toutes sauf une. de temps à autre, le lecteur s'agace que les visages de ces messieurs ne soient pas toujours assez marqués pour 2 ou 3 d'entre eux, mais le contexte du récit permet de les identifier sans problème.

Par rapport à ses précédents travaux, Lee Bermejo a amélioré la composition de ses planches : les aplats de noir sont maîtrisés pour donner plus de volume aux formes, et pour rendre compte d'un faible éclairage (tout en conservant la lisibilité du dessin), le niveau de détail est adapté à la nature de la case (de photoréaliste à un niveau de détail élevé). L'artiste réussit toujours avec autant d'efficience ces dessins dont les décors pourraient presqu'être assimilés à une photographie du fait du niveau de détail, et du réalisme de ce qui est représenté. Toutefois le mode de dessin fait que ces décors incorporent les personnages, sans donner l'impression que ces derniers aient été collés sur une image trop précise par rapport aux silhouettes. Lee Bermejo a donc amélioré le dosage de ses dessins, pour une narration plus fluide, sans rien perdre de leur réalisme.

Rien que pour les dessins, le lecteur se félicite d'avoir tenté l'aventure de cette lecture. le travail de Matt Hollingsworth semble intégré aux dessins, comme si Bermejo avait tout réalisé tout seul. le coloriste réalise avec la même élégance des compositions chromatiques donnant une ambiance spécifique à chaque séquence avec une teinte dominante, des camaïeux pour rehausser les volumes (sans supplanter les formes), et des touches de couleurs inattendues (un peu de rose) et pertinentes.

L'idée d'une ville close, abritant une société de privilégiés (par rapport à ceux du dehors) soumis aux diktats d'une entreprise tentaculaire employant sa propre police qui assure la sécurité de la ville est un thème déjà développé dans d'autres récits d'anticipation. Il en va de même pour des combats à mort dans une arène, avec des gladiateurs revêtus d'armure haute technologie. La force de conviction des dessins assure au lecteur un excellent niveau d'immersion par rapport à d'autres récits du même genre.

Dans ce récit à haute teneur en testostérone, avec des rôles féminins assez secondaires, le lecteur voit ces 2 individus Saint et Kid progresser par la force physique, éclatant les crânes sous leur poing, pour survivre, aller de l'avant et être vainqueur. Ils incarnent la réussite à la force de leur volonté, bien aidés par leur carrure et leur forme physique exceptionnelle. En contrepoint, les pauvres individus normaux nés du mauvais côté de la barrière tentent de s'introduire dans leur monde pour bénéficier d'un meilleur environnement. Il y a aussi ces 2 gugusses en costume-cravate qui tirent les ficelles, en s'assurant que leur poulain continue de leur rapporter quelque chose. Enfin il y a quelques gugusses se contentant d'aller dans le sens du système, sans oublier leur pomme (charité bien ordonnée commence par soi-même).

Dès le début, le lecteur comprend qu'il est dans un récit d'anticipation mâtiné de roman noir. Les tenants et les aboutissants de l'économie de New Angeles ne sont pas détaillés, mais l'on sent bien que le capitalisme règne toujours, sous la forme d'une entreprise omniprésente dictant littéralement sa loi. Les opérations de chirurgie esthétique sont monnaie courante, mais certainement pas gratuites, et elles sont une obligation pour la population de New Angeles qui doit se montrer sous un jour parfait. Les implants cybernétiques augmentant les capacités sont aussi monnaie courante, et certainement encore plus chers. La vie d'un être semble par contre bon marché, que ce soit celle des champions Suiciders qui s'affrontent dans l'arène, ou les pauvres hères qui sont froidement abattus pour avoir essayé d'immigrer clandestinement.

Dès le début, il y a également une dimension policière dans le récit. Qui est vraiment The Saint ? D'où vient-il ? Quelle est son histoire personnelle ? Ce mystère est assez important pour que la journaliste Sheila Sutter risque gros, et pour que le fouille-m*** Benedict Staz risque encore plus gros. Dès le début, le lecteur constate aussi qu'il s'agit d'un polar noir, où l'altruisme n'a pas le droit de cité. Certes Lee Bermejo prend un malin plaisir à montrer ces types machos et brutaux, avec une forme de romantisme pour ces mauvais garçons. Mais il prend tout aussi soin de montrer de manière manifeste que le bonheur et la paix de l'âme leur échappent. Tous ces individus ont soit une revanche à prendre, soit un appétit de pouvoir insatiable, qui les condamnent dans une surenchère les laissant toujours insatisfaits.

Avec cette deuxième histoire réalisée tout seul, Lee Bermejo confirme qu'il dispose des compétences nécessaires pour être un auteur complet. Il propose un roman noir baignant dans un environnement de science-fiction, avec des individus englués dans leur histoire personnelle, luttant pour accéder à un état plus serein, tout en s'enferrant dans les mêmes schémas.
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