AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Luniver


Tout grand lecteur s'est déjà posé la question au moins une fois dans sa vie : parmi la multitude d'ouvrages qui me sont proposés, que lire ? Quels livres en valent vraiment la peine ? Pour trancher définitivement cette question, je me suis lancé dans ce guide irréprochable de bonnes lectures catholiques, qui a fait le bonheur d'innombrables familles, bardé de références incontestables, approuvé par le pape en personne, ça montre à quel point je ne prends aucun risque. Malheureusement la liste s'arrête aux années 30, donc le flou restera total pour les romans contemporains, mais au moins maintenant, jusqu'à cette époque, je serai paré !

Quels sont donc les romans à éviter pour notre brave abbé Bethléem ?
1) Tout d'abord, de manière assez logique, les livres d'auteurs ouvertement opposés à l'Église ou anticléricaux. On retrouve ainsi Voltaire, Rousseau, des franc-maçons et plus généralement tous les auteurs mis à l'Index.
2) Interdits également, les livres dont les auteurs ne sont pas hostile à la religion, mais qui professent malgré tout des idées contraires aux dogmes en vigueur sur le divorce, le pardon, le paradis, la nature divine, ... ou qui traitent de phénomènes que l'Église reconnaît comme maléfique (fantômes, voyants, …).
3) À la corbeille tous les romans qui n'insistent pas suffisamment sur l'immoralité de certaines situations (amour libre, divorce, filles-mères, …), ou qui n'en punissent pas les auteurs avant la fin du roman. Ou même, qui punissent bien les auteurs d'acte immoraux, mais en laissant entendre que vivre ce péché pourrait largement valoir l'éternité de pénitence qui va suivre derrière.
4) À retirer également de la table de nuit les romans qui mettent en scène des saints, des prêtres, des bedeaux, des âmes vertueuses dans des situations grotesques ou qui peuvent simplement nuire à leur réputation. Un roman est ainsi vivement déconseillé car on aperçoit, dans une seule de ses pages, un abbé un peu ivre dans une taverne.
5) Pas de saletés dans les bonnes maisons ! Les histoires dont les héros sont des paysans crasseux, des habitants des quartiers mal famés, des bandits, des prostituées, personne ne veut en voir !
6) Dernier coup de balai, tous les romans au ton politique qui ne convient décidément pas à l'abbé : pas de socialisme, encore moins de communisme, pas de pacifisme et autres sentiments « anti-français ».

Une petite chose surprenante, l'auteur mentionne systématiquement l'appartenance des auteurs interdits à l'ordre de la légion d'honneur. Je ne sais pas si c'était un gage supplémentaire d'immoralité ou si au contraire il voulait souligner que le mal s'infiltre vraiment partout, mais cette insistance m'a beaucoup amusé.

Que reste-t-il dans les bibliothèques au final ? Pas grand-chose, on s'en doute. La volonté de tout lisser, de tout contrôler, d'éliminer la moindre trace de soupçon d'une critique contre la religion est tellement extrême qu'elle en devient comique. Les commentaires lapidaires qui accompagnent certains ouvrages interdits laissent rêveur : « une page particulièrement cynique », « expressions risquées », … Ce que craint par dessus tout l'abbé, c'est que le doute s'insinue chez le lecteur. Un prêtre mal habillé, une parole de « bon sens » à l'encontre des dogmes établis, un aventurier immoral mais sympathique, sont dans son esprit autant de portes ouvertes vers des remises en question qui finiront par devenir sérieuses, et c'est ce qu'il veut éviter à tout prix.

Même lors des présentations de bons livres, l'abbé Bethléem les déconseille aux gens trop sensibles, à l'esprit trop aventurier, à ceux dont les opinions ne sont pas encore assez fermes, ou ne les conseille qu'aux lecteurs avec une grande expérience de la vie.

Je retiendrai principalement deux choses de ce livre. Premièrement, les auteurs devenus classiques aujourd'hui, et qu'on qualifie parfois même d'ennuyeux, ont provoqué de véritables révolutions à leur époque. Il n'y a qu'à voir la violence avec laquelle ses contemporains ont parlé de Zola, allant même jusqu'à souhaiter qu'il ne soit pas né, pour s'en rendre compte.

Et enfin, la chance de vivre dans des régions où la censure est relativement douce. Cet ouvrage de l'abbé Bethléem n'est quand même pas si vieux que ça (j'ai eu la surprise d'y voir figurer Georges Simenon par exemple, qui est mort de mon vivant), et de nombreux pays ont encore recours aujourd'hui à des listes similaires pour régler les ventes en librairies. On se rend difficilement compte de la chance d'avoir accès à tant d'horizons différents.

Une chose est sûre, c'est que la censure pousse à la vente. J'ai garni mon pense-bête de quelques ouvrages supplémentaires, et j'espère qu'ils seront aussi sulfureux qu'on me l'a promis !
Commenter  J’apprécie          287



Ont apprécié cette critique (24)voir plus




{* *}