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Critique de Shakespeare


Écrivain méconnu dans l'hexagone, John Betjeman était pourtant le poète de la reine de 1972 jusqu'à sa mort. C'est justement pour faire découvrir aux francophones un auteur extrêmement populaire en Angleterre que les éditions Illador proposent une traduction de ses plus beaux poèmes.
D'un point de vue purement formel, le livre possède un papier de qualité avec une mise en page claire et agréable. La première confrontation avec le poète se veut picturale : un portrait de Betjeman en plein fou rire anticipe ainsi la préface. Un poète drôle, Betjeman ? La préface ne dira pas le contraire. La plupart des poèmes non plus d'ailleurs.

Le projet de l'édition est on ne peut plus sérieux pourtant. « Betjeman est à lui tout seul tout l'esprit des anglais » nous prévient-on. Plus encore, il est promis un voyage à travers cette lecture, un voyage dans la flore, l'architecture victorienne, un véritable parcours géographique ; une "géographie sentimentale, physique et langagière"… Betjeman est un historien de son temps et le plaisir de la lecture semble égal à l'inventivité de ses poèmes.

Sur le fond, John Betjeman est donc un guide touristique pour le lecteur français. Et après avoir visité l'Angleterre de Londres jusqu'à Dawley, l'homme de lettres s'intéresse au « continent noir », aux femmes de sa vie, puis, même si on la perçoit tout au long du recueil, à la nostalgie. Ainsi, les jeux de mots, les pointes ironiques et le ton enjoué n'empêchent pas pour autant la présence de quelques poèmes un peu plus mélancoliques comme Remords (Remorse) ou encore Devonshire Street W.1.

La photographie de fin de livre se veut d'ailleurs bien plus morose que celle présente au début. Plus question d'un John en plein fou rire, mais d'un homme, de dos, tête baissée, vêtu de noir. Loin d'être un personnage triste, il faut surtout comprendre à travers ses deux photographies oxymoriques que Betjeman manie le comique comme le drame, la joie comme la nostalgie, l'humour comme le romantisme. Il nous prouve ainsi dans L'arrestation d'Oscar Wilde au Cadogan Hôtel (The Arrest of Oscar Wilde at the Cadogan Hotel) que sa poésie peut prendre la forme d'un conte structuré comme d'un écrit un peu plus absurde avec par exemple Bristol, dans lequel une série de chiffres sert de conclusion.

Traduire Betjeman s'avérait donc être un véritable challenge qu'Anne Guerber a plus ou moins réussi. On ressent dans la traduction française ce désir d'être fidèle au texte original, de laisser les périphrases nébuleuses pour un français (les notes les rendent compréhensibles, ouf !) mais on perd tout de même un quelque chose dans la traduction. Et ce quelque chose, c'est l'harmonie qui fait la beauté de la version originale, la justesse des rimes, la joliesse de l'expression. Car en français, certaines sonorités sont biens moins agréables qu'en anglais. C'est le prix à payer pour rester fidèle au texte. Pour autant, les poèmes sont globalement bien traduits et certains, comme Filles de bureau (Business Girls), sont mêmes très proches de la version original tant dans les sonorités que dans l'harmonie générale. On peut néanmoins trouver curieux le choix de traduction pour certains passages. Pourquoi, par exemple, ne pas avoir traduit la polysyndétie en « et » dans le dernier vers de Soleil et Plaisir (Sun and Fun) ?

Quoiqu'il en soit, si la traduction fait de son mieux pour rendre le voyage possible, ce n'est pas tout à fait le même sentier qu'un anglophone que nous empruntons avec la version française. Si bien qu'on ressent une frustration une fois la lecture terminée. On aimerait lire Betjeman dans la langue originale. La version française nous donne accès au sens, mais on ressent bien que l'aura de l'oeuvre se trouve surtout dans la version anglaise. A moins d'être bilingue, on reste sur notre faim. Cette édition bilingue ne rassasie donc pas mais elle a le mérite d'ouvrir l'appétit à tous les français unilingues. On aurait presque envie de goûter du pudding dis-donc !
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