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Critique de DarrenBryte


On aurait aimé savoir ce qui se pas­sait dans la tête de Paresseux.

Un style, un uni­vers, une vision, une auteure que l'on découvre et lit avec plai­sir parce qu'ils offrent, tous ensemble, quelque chose d'un peu dif­fé­rent, d'un peu décalé. le talent se trou­vait sous l'énergie de la plume, le réalisme des per­son­nages et l'originalité de l'idée qui, bien que pré­sente au début de l'ouvrage, n'a pas été suffisamment alimentés au fil de l'intrigue. Mais on ne serait pas contre l'idée d'en lire un deuxième. Pari gagné !
Zinzi Decem­ber est une ani­ma­lée (une « Zoo ») ; ces personnes res­pon­sables d'un crime qui, lorsqu'elles sortent de pri­son, se trouvent affublées, en guise de peine additionnelle, d'un ani­mal symbiotique dont elles doivent s'occuper à vie (si l'animal meurt, son pro­prié­taire connaît le même sort). Elles reçoivent, avec leur sym­biote, un shavi (un don extra­or­di­naire). Celui de Zinzi est de retrou­ver les choses perdues. Ancienne jour­na­liste déchue après la mort de son frère (dont elle est tenue pour res­pon­sable), Zinzi survit dans Zoo City (un quar­tier déla­bré de Johannesburg peu­plé de gens comme elle) en fai­sant commerce de son shavi et en par­ti­ci­pant, à contrecoeur, à des arnaques à la nigé­riane.
Alors qu'elle se retrouve à court d'argent, un pro­duc­teur for­tuné, énigmatique et mal­sain fait appel à elle pour retrou­ver non pas un objet mais l'une de ses pop stars dis­pa­rues. Zinzi se lance alors à la recherche de Song­weza au coeur d'une ville dont elle va tra­ver­ser deux des mondes qui s'y côtoient et qu'elle connaît bien : celui de la déchéance et de la pau­vreté et celui de l'opulence ; à bien des égards misé­rables l'un comme l'autre. Ce fai­sant, elle cheminera sur les réa­li­tés de sa propre condi­tion, les blessures de son passé et l'incertitude qui habite son présent et son avenir.

« Plaisirs »

Le style est moderne, bran­ché, rem­pli d'expressions et de termes sud-africains qui ajoutent au réa­lisme des personnages et des dia­logues, crus et sans emphase. Il donne à l'ouvrage une dyna­mique cer­taine et nous plonge dans l'action sans détour ni chi­chis sty­lis­tiques inutiles. Les descriptions (des lieux et des situa­tions) sont saisissantes et bien ima­gées. Elles nous font sen­tir l'odeur de la moisissure qui baigne Zoo City, celle de la came qui inonde les lieux bran­chés dans les­quels Zinzi (nar­ra­trice du début à la fin) évo­lue et celle, enfin, de la vio­lence, morale, phy­sique, directe ou plus sub­tile, qui infecte la plu­part des per­son­nages.
L'univers semble ori­gi­nal. Mais, à y regar­der de plus près, en se débarrassant de tout ce qui fait de cet ouvrage un roman, il correspond à une société frac­tu­rée où les inégalités se sont creu­sées au point de don­ner nais­sance à deux univers qui n'ont plus rien en com­mun. Et puis, on s'attache à Zinzi. Parce qu'en dépit de son carac­tère bien trempé et d'activités mora­le­ment condam­nables, on ressent la fra­gi­lité d'un per­son­nage blessé, qui se protège et qui sur­vit comme il peut, avec un passé qui le mine et un pré­sent qui ne lui per­met pas d'envisager l'avenir. Pour­tant, au fil du roman, il évo­lue et nous laisse découvrir une sen­si­bi­lité étouf­fée par une his­toire per­son­nelle dif­fi­cile et un monde qui ne connaît aucune pitié. Sans un mot, puisqu'il ne s'agit que d'un ani­mal, cet aspect du per­son­nage est sub­ti­le­ment mis en lumière à travers Pares­seux, son sym­biote. Il est l'autre ver­sant de Zinzi, celui qui s'exprime silen­cieu­se­ment, davan­tage à travers les faits que les mots.

« Regrets »

On regret­tera une immer­sion peut-être trop rapide dans l'action, au point par­fois d'avoir quelques dif­fi­cul­tés à « retrouver ses petits ». Bien des pré­sup­po­sés sont induits, comme des évi­dences. On aurait aimé qu'ils nous soient davan­tage contés. On regret­tera éga­le­ment que les phé­no­mènes magiques qui par­sèment l'ouvrage (et qui ne sont pas expli­qués, ni dans leurs fon­de­ments, ni dans leurs pers­pec­tives) ne trouvent pas vrai­ment d'utilité, si ce n'est nous faire tou­cher du (bout du) doigt l'empreinte de la magie dans la culture sud-africaine.
Mais on regret­tera sur­tout, sur­tout, que l'idée – captivante entre toutes – des sym­biotes n'ait pas été suffisamment exploitée. Passe encore que les ori­gines de la symbiose res­tent inexpliquées (après tout, il s'agit de phénomènes fan­tas­tiques qui n'ont pas à ver­ser dans le rationnel), mais ne pas péné­trer le coeur de ce que cette symbiose signi­fie, pro­voque ou sous-tend, c'est pas­ser à côté d'un uni­vers hors normes et encore trop méconnu. On reste avec un goût de « trop peu ». On aurait aimé se transposer dans la tête de Pares­seux et de tous les symbiotes qui se sont retrou­vés atta­chés (enchaî­nés ?) à leur humain. Pour résu­mer, quelques pages de plus (allez, une bonne cin­quan­taine !) n'auraient pas été pour nous déplaire.

« Reproches »

On reprochera à l'intrigue de nous embar­quer dans une enquête qui retombe comme un souf­flé, dans une grande banalité, et qui, fina­le­ment, n'a été ima­gi­née que pour nous faire che­mi­ner sur le des­tin per­son­nel de la nar­ra­trice (et de ceux qui la côtoient au plus près) à tra­vers un Johannesburg aux mul­tiples visages et, plus lar­ge­ment, une Afrique défaite.
On reprochera aussi une fin trop rapide, sans cohé­rence avec l'intrigue ini­tiale, car rien n'est jamais venu l'annoncer ou la faire devi­ner, même de loin. Elle tombe comme un cheveu (de Pares­seux) dans une soupe assez pauvre et abra­ca­da­bran­tesque. On reste avec cette impression qu'il fal­lait finir.

Dar­ren Bryte
Lien : http://www.lelitteraire.com/..
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