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Critique de MicheleP


Le Bovarysme ne peut naître que dans des sociétés contraignantes et guindées où la seule voie laissée aux femmes est un statut d'épouses-et-mères ou celui de putain. Maïssa Bey en mène ici la démonstration, avec son personnage d'Hizya, jeune-fille de la classe moyenne. Issue d'une vieille famille algéroise d'honnêtes boutiquiers, soumise au poids des traditions et des hypocrisies, Hizya est une (vieille) fille a marier de vingt-trois ans qui porte, par héritage familial, le non de l'héroïne d'un magnifique poème d'amour «la belle aux bracelets de cheville d'argent », morte dans la fleur de sa jeunesse. Alors, la moderne Hizya rêve du vaillant cavalier qui l'adorera et la pleurera éternellement. Mais les faits sont têtus : bien que titulaire d'un diplôme universitaire, la jeune femme acceptera un job de coiffeuse et quand elle sera l'objet d'une sorte de passion romantique et exaltée, elle se dérobera pour aller vers un garçon plus réel. Avec comme seul horizon un mariage bien traditionnel quoique librement choisi où se reproduira pour elle la vie de sa mère et de sa grand-mère.
Entre rêve et réalité, réalisme et poésie, se trace l'itinéraire de cette rebelle attachante aux ailes vite rognées.
Mais si Hizya est, quelque part, un roman réaliste, il s'agit d'un réalisme post-freudien, avec un parti-pris d'écriture presque dérangeant : Hyzia raconte les péripéties de ses journées et de sa vie, puis, en écriture plus subjective, elle revient sur elle-même, se juge et se morigène. D'où un approfondissement presque cruel du personnage. La réalité se difracte alors.
Autour d'elle, des mères frustrées et frustrantes, de jeunes coiffeuses que la vie cherche à détruire, un père accablé qui s'est lui-aussi réfugié dans un rêve, ce combat pour l'Indépendance qu'il n'a pas mené mais auquel il s'identifie parce qu'il y trouve sa seule dignité et des garçons malheureux, prédateurs et impuissants. le point culminant du livre est pour moi la conversation d'Hizya et de son frère un soir sur la terrasse. On comprend alors qu'il ne s'agit pas seulement des souffrances d'une jeune-fille qui se cherche, mais de toute une société malade de ses préjugés et de son chômage, et que l'aliénation de la femme va de pair avec celle de l'homme. No future !
L'amour n'existe pas, l'amour ne peut exister sous cette chape : c'est ce que la moderne Hizya finira pas accepter en comprenant enfin que l‘amour romantique de son modèle, « la belle aux bracelets de chevilles d'argent », et du vaillant Sayed n'est, comme le fut au Moyen Age l'amour courtois, que l'exaltation poétique de l'aliénation.
Superbement écrit, un roman magistral, très intelligent et d'une portée beaucoup plus universelle que la simple condition des femmes d'Algérie.
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