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Critique de ghjanlucca


Maintenant tout le monde sait traduire Murtoriu, on a donc bien avancé dans l'apprentissage de la langue corse. D'ailleurs le texte, grave et puissant, fonctionne comme le battant de la cloche, oscillant sans discontinuer de la Première Guerre mondiale à l'époque contemporaine pour répercuter le même message de fin. le même constat de décès. D'emblée on comprend que la messe est dite, le héros-libraire met les points sur les i d'un possible lecteur déjà coupable de se trouver là. Parce que, de cette mort, ce lecteur n'est probablement pas si innocent qu'il veut le croire. La terre du nord de la France, celle des montagnes du sud de la Corse, partout s'inonde d'un même sang inutilement versé. A la désolation définitive des paysages du nord répond la désertification des paysages du sud de l'île. La guerre passée, la Corse n'est plus qu'un spectre qui se jette dans les bras de la grippe espagnole, comme si l'horreur n'était pas suffisamment nourrie... Dans ce siècle franchit de page en page, les usages deviennent des traditions, puis des souvenirs, puis du folklore. Les témoins, ce qui en grec se traduit par martyrs, n'ont qu'à disparaître, inadaptables de toute façon ils sont sacrifiés. L'horreur en redemande, parce qu'elle veut tout, jusqu'à l'âme, et l'âme de ce pays est autant dans la tête des gens que dans ses paysages. La Corse s'autodétruit, comme le renard piégé se dévore la patte pour aller mourir ailleurs.
Le dernier son de la lourde cloche s'évanouit dans l'air pesant de la mort annoncée, et Marc Antoine le libraire reproduit à sa façon le geste de Marc Antoine son grand-père.
L'auteur confirme ici son style particulier, quasi géologique, rocailleux et vrai, âpre parfois. Il le parfait jusque lui faire épouser les contours de son texte, comme ciselé à la crête de ses montagnes, ou imprégné de peur, de sueur et de sang. Il bouscule, dérange, sort de derrière son écritoire. Ce roman, si corse dans le ton et l'esprit, peut prétendre à l'universel. Il suffit d'ouvrir les yeux sur ce monde pour en voir le tragique autant que la vacuité. Il inscrit son message parmi ceux que, depuis l'Antiquité, la Méditerranée adresse à l'humain. Lui montrant sa mesure et sa raison sans cesse menacées par ses passions éphémères. La traduction est efficace qui parvient à rendre au texte sa densité originelle et parfois même sa sonorité.
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