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Critique de Amakir


Je découvre enfin Enki Bilal avec La Trilogie Nikopol. Depuis toujours fascinée par ses dessins, je possède une de ses oeuvres en reproduction, qui occupe un des murs de ma chambre en excellente compagnie.
Enki Bilal, je l'aimais sans l'avoir lu.

C'est avec curiosité que j'ai entrepris ma lecture avec La Trilogie Nikopol, Tome 1 : La Foire aux Immortels. Peu encline habituellement à la Science Fiction, j'espérais apprécier jusqu'au bout les talents de l'artiste.

Cet opus du neuvième art est considéré comme un chef d'oeuvre d'anticipation politique et social, à juste titre.
Dans un monde dystopique, où la ville de Paris est divisée en deux arrondissements fortement déséquilibrés, règne en son centre une classe dirigeante totalitaire encerclée par un univers à la fois fantasque et redoutable dont l'horizon se propage à perte de vue. Une mascarade fourmillante dans laquelle aventuriers en tout genre vont se partager les bulles.

Enki Bilal s'amuse avec clairvoyance. À coup de traits noirs, et couleurs vives, il dénonce le non-sens dans l'absurdité humaine âpre à la domination. Non sans fantaisie, Bilal enrichi son scénario en incorporant multiples divinités obsédées par le pouvoir. L'auteur cultive ainsi une concurrence bouillonnante pour l'accès à la couronne.

« L'immortalité est une forme de dictature de la vie sur la mort. Etant dictateur et en vie, il ne me reste plus qu'à devenir immortel.
Et je le deviendrai, dussé-je en mourir. »

Spectacle original dans lequel Bilal invente l'espoir d'une vie nouvelle. Ces livres sont souvent considérés comme étant noirs. Je ne pense pas que l'univers de Bilal soit sombre. C'est avec une grande lucidité qu'il exprime un violent désir de reconstruction, et non de cataclysme.

La foire aux immortels est un joyau imaginatif, dans lequel vont se marier des sujets forts tels que la technologie, l'économie, la religion et la politique. Parmi les thèmes abordés, le sexisme y occupe une place de choix, Bilal dénonçant une société patriarcale dictatoriale dans laquelle les femmes sont cachées et séquestrées dans le but de reproduire. Une fois encore, l'auteur affiche une forte ambition de renouvellement et d'émancipation.
C'est brillant.

« Tu as sans doute remarqué l'absence de femmes dans ce carnaval grouillant...
La plupart en âge de reproduire est affectée d'office dans le centre de natalité Saint-Sauveur, une espèce de gigantesque clinique souterraine, sinistrement aseptisée, aux cadences scientifiquement accélérées...
La programmation doit prévoir quelque chose comme quatre-vingt pour cent d'enfants mâles... Tous destinés aux armées gouvernementales.
Ta race est d'une stupidité rare et d'un sexisme affligeant. »

Visuellement puissants, les dessins sont hypnotisants et les textes, remarquablement écrits, sont ingénieux. J'ai particulièrement aimé les coupures de presse qui jalonnent les planches avec humour et discernement.

L'excentricité et la diversité des protagonistes sont remarquables. J'ai été conquise par Horus, Dieu des cieux, à tête de faucon sur un corps d'homme ainsi que son rival Anubis dont la tête représente un chacal. Irrésistiblement envoûtants.
Parmi les personnages les plus ubuesques, j'ai adoré Gogol le chat télépathe et les anges grisâtres et dodus tourbillonnant autour de sa Sainteté le Pape. Réjouissant !

Les bulles dont l'écriture est très serrée m'auront pris quelques pages avant de m'adapter. J'ai pour habitude de lire des Bandes dessinées plus aériennes avec beaucoup moins de paroles.
Nikopol est un livre bavard ! Ça jacasse dans tous les sens, même à l'envers et parfois en cercle, si si…

Je termine ma critique en mentionnant Baudelaire dont les vers disséminés dans la bouche d'Alcide Nikopol m'auront fait rêver encore un peu plus. À travers ces poèmes, Enki Bilal aborde avec beaucoup de finesse l'absence, le temps et la mémoire.
D'une beauté lyrique et sensible.

« Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots,
Je l'entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure... »

La foire aux immortels, grand classique indéniablement réussi, mérite son succès.


Lu en mai 2021
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