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Critique de Blok


Blok
06 février 2021
,Cet ouvrage se veut un conte philosophique à la manière des Lettres persanes ou de l'Ingénu. Dans cette veine,Il comporte des passages assez réjouissants. Et il est dommage que l'auteur ne s'en soit pas tenu là et qu'il veuille récrire l'histoire. Il a pu y être poussé par la nécessité d'amener des Incas en Europe, problème que ne durent afronter ni Montesquieu ni Voltaire, et c'était difficile ; Laurent Binet, comme tout auteur, bénéficie naturellement du pacte de crédulité.
Encore ne faut-il pas trop en demander, et surtout respecter les lois de son propre univers, et celles qu'on n'a pas modifiées par rapport à celles qui régissent le monde réel.
Ce que Binet ne fait pas.

Commençons par le point de départ du livre.
La défaite des Amérindiens dans notre monde s'explique par les facteurs suivants :
-absence de gros animaux dont la force physique peut être exploité, ignorance de la roue et de la métallurgie du fer, d'où impasse technologique ;
-surtout choc microbien en raison de l'absence d'anticorps aux microbes de l'ancien monde.
Tout cela est très bien expliqué dans l'ouvrage de Jared Diamont « De l'inégalité parmi les sociétés »
Pour modifier l'histoire, l'auteur imagine donc, ce qui est crédible, qu'une expédition viking prenne pied en Amérique du Nord,Amériendiens dans une circumnavigation côtière jusqu'à Cuba, où nos Vikings sont absorbés par la population locale
L'expédition de Collomb échoue et les Incas vont débarquer en Europe.
Bien.
Mais il y a quelques problèmes.
Les Vikings ne sont pas allés jusqu'à l'Empire inca, qui n'avait aucune relation avec le Mexique ; Commnt l'apport des étrangers a-t-il pu leur parvenir ?
Dans ces conditions, ils auraient été victimes du choc microbien lors de leur arrivée au Portugal,
De même, ils n'auraient pas disposé de chevaux et d'armes de fer (ce dernier point n'ayant guère d'importance, puisque l'introduction de ces éléments ne semble pas avoir modifié en quoi que ce soit la société Inca, en plusieurs siècles celle-ci se trouvant pour le reste dans le même état que lors de l'arrivée des Espagnols dans notre histoire.
En outre, et à supposer qu'ils aient bénéficié des technologies, des gros animaux, et des immunitéS microbiennes transmis par les Vikings,cela ne leur aurait pour autant conféré aucun avantage compétitif par rapport aux habitants de l'Ancien Monde ; cela est particulièrement important pour les immunités microbiennes, les maladies européennes ayant été le principal facteur expliquant la facilité de la conquête espagnole ; il est vrai qu'ils leur apportent la syphillis ; mais cette dernière est aussi parvenue en Europe dans notre Histoire et n'a pas, compte tenu de son mode de transmission, pu avoir d'effets comparables aux grandes épidémies ou pandémies.
En fait, Binet ne fait pas grand chose de l'apport technologique des Vikings : les sociétés amérindiennes de son univers sont pratiquement équivalentes à celles du monde réel et ce ne sont pas elles qui entraînent l'échec de Colomb, qui est purement circonstanciel.
Une fois arrivé en Europe, Atahualpa se serait donc retrouvé dans une situation bien différente de celles de Cortez et Pizarro, ne bénéficiant pas au surplus à leur rebours du soutien d'une nation puissante qui pouvait toujours leur fournir des renforts, même si Huascar est appelé au secours.
Voyons d'abord le trajet accompli par Atahualpa et ses guerriers. Il pose quelques petits problèmes
En effet :
Il accomplit tout d'abord à pied avec son armée le trajet de Cuzco à Panama, soit plus de 5000 kms, poursuivi à. une distance de quelques kilomètres par l'armée de son frère Huscar, soit environ 5000 kms, et un an et demi de voyage.
Aprés ce premier exploit ( à côté duquel la retraite de Russie, l'Anabase et la Longue marche font figure de promenade de santé) une fois arrivés sur une place de Panama, et alors que l'armée de Huascar les suit toujours de fort près, ils trouvent le temps de cobnstruire une flotille d'y embarquer et de prendre la mer à force rames pour Cuba (1400 kms) ; rappelons quand même qu'ils n'ont aucune connaissance de la navigation maritime.
Une fois arrivé à Cuba, ils réparent deux des Caravelles de l'expédition Colomb et en construisent une troisième plus grande, malgrè l'absence de tout charpentier de marine.
Aprés quoi ils cinglent vers l'Europe, en l'absence encore une fois de toute expérience de la navigation hauturière, de l'usage des instruments et du maniement des voiles, ils parviennent sans encombre à Lisbonne après un périple maritime de près de 7000 kms, Les Incas, les chevaux, les vaches, le puma et les perroquets de l'Empereur, sont frais et dispos ; ce dernier a toujours ses vêtements et ses bijoux.
Pour la suite, il serait fastidieux de relever toutes les erreurs factuelles, impossibilités matérielles et psychologiques, invraisemblance des péripéties, qui témoignent d'unr connaissance trop superficielle et en partie erronée du contexte historique, psychologique, économique et géopolitique de la période, ainsi que les personnalités historiques qu'il met en scène.
Un seul exemple : à supposer que les Incas soient prvenus à Grenade (à supposer qu'ils y soient parvenus et n'aient pas été arrêtés avant par les autorités espagnoles) lors de l'entrée du Roi ils auraient été immédiatement emprisonnés.
Quand à leur victime contre les Espagnols sur une place de Grenade, évidemment l'épisode est "pompé" sur la capture de l'empereur inca par Pizarre.
Mais il est invraisemblable dans ce contexte :
Tout d'abord l'étiquette espagnole aurait interdit à Empereur de se rendre au devant d'Atahualpa
Ensuite les conditions de la victoire des Incas la rendent inimaginable
Il n'y a pas d'exemple qu'un carré de piquiers ait été rompu par une charge de cavalerie, on l'a bien vu à Pavie, surtout à un contre dix. Quant à la technique qui consiste à entourer l'ennemi d'une noria de cavalerie, nous ne sommes pas dans un western. Elle est d'une efficacité très douteuse, et il ne semble pas qu'elle ait été beaucoup employée dans les guerres indiennes aux Etats Unis (en dehors du Cinéma )
Il y a aussis une erreur flagrante du sujet de l'Islam : on voit un musulman déclarer, lorsqu'on lui propose d'adorer le soleil, que, si le Coran dit que Dieu est Grand, il ne dit pas que lui seul est grand ; or « Allah Akbar » n'est pas la profession de foi musulmane ; dans cette dernière, la Chahada, il est au contraire affirmé qu'il n'y a que Dieu qui soit Dieu. Pour un musulman au contraire, le culte du soleil des Incas serait bien pire que le christianisme ou le judaïsme, qui reconnaissent un dieu unique. En général d'ailleurs, vu les mentalités de l'époque et ce que les contemporains étaient prêts à faire et à subir pour la défense de leur foi, les conversions massives de chrétiens et de musulmans imaginées par l'auteur sont inimaginables.

Après tout, je coupe les cheveux en quatre. Peut-être faudrait-il s'en tenir coûte que coûte au pacte de crédulité et lire cela comme on lit Dumas.
Mais malheureusement Binet n'écrit pas très bien, et échoue à camper des personnages attachants, ou même intéressants.
Quand même quelques procédés narratifs intéressants tels que l'alternance des points de vue et des formes narratives. Mais le cela est loin d'être une innovation littéraire et d'autres trop nombreux pour être cités en on fait auparavant un bien meilleur usage

Et j'avoue m'être mis à m'ennuyer ferme et avoir abandonné Atahualpa à son glorieux destin.

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