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sur 1277 notes
Comme dit l'adage, avec des si on mettrait Paris en bouteille. Dans Civilizations de Laurent Binet c'est l'ordre du monde qui est revisité à travers un jeu de trônes fantasque et addictif.

Et si les Indiens avaient résisté aux conquistadors... Et si, en plus d'y résister, ils étaient devenus eux-mêmes envahisseurs... la face du monde eût été changée. C'est le point de départ de Civilizations de Laurent Binet.
Après tout, en 1492, qu'avaient les civilisations d'Europe de plus que celles des Indiens ? « Donnez-leur le cheval, le fer et les anticorps, et toute l'histoire du monde est à refaire. » : partant de ces postulats, tout est possible. C'est d'ailleurs le principe même de l'uchronie, genre majeur de la science-fiction qui travestit le passé pour réécrire le présent. Cette expérimentation fictive d'anticipation est avant tout un exercice littéraire auquel Laurent Binet excelle dans ce nouveau roman.
Son récit commence comme une saga scandinave, dans laquelle l'auteur imagine la fondation d'une colonie par les Vikings, point de départ capital puisqu'ils laisseraient aux autochtones américains (qui ne porteront d'ailleurs jamais ce nom), aux populations mayas, le cheval, leur apprendront à travailler le fer, et leur transmettront des microbes et autres joyeusetés bactériennes contre lesquelles ils finiront par s'immuniser. le roman se poursuit avec le vrai-faux journal de bord de Christophe Colomb, promis désormais à un avenir sombre, puis prend de l'ampleur avec la chronique médiévale d'Atahualpa, Septième Sapa Inca et conquérant de ce Nouveau-Monde qu'on appelle Europe. La dernière partie donne à voir un pastiche du roman picaresque espagnol dans lequel on retrouve Cervantès lui-même en lieu et place de Don Quichotte.
Truculente et fantasque, l'expérience narrative est aussi l'occasion de redessiner les cartes de la géopolitique et de nos sociétés.

Ma chronique complète à retrouver sur Fnac Conseils Libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Laurent..
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Civilizations est une gigantesque fresque historique inversant complètement la conquête du Nouveau Monde, faisant débarquer les Incas à Lisbonne puis, en quelques années, les amènant à prendre le pouvoir sur une grande partie de l'Europe. de plus, Laurent Binet a saupoudré son roman de références et de personnages historiques bien réels ce qui n'a pas manqué de me faire sourire tout au long de ma lecture.

Avant de nous mettre dans les pas des adorateurs du Soleil, l'auteur commence avec des bannis d'Islande qui, de fuite en poursuite, arrivent sur ce qu'on appelle aujourd'hui l'Amérique. C'est ensuite Christophe Colomb et son expédition qui va d'échec en déconvenue pour se terminer lamentablement. Tout cela, comme tout au long du livre, est bien argumenté, détaillé, expliqué, rendant l'histoire plausible.
Enfin, commencent les aventures d'Atahualpa, en lutte contre son frère, qui n'a d'autre échappatoire que de prendre la mer pour Cipango (Cuba) où il rencontre la belle Higuénamota qui l'accompagnera longtemps.
De batailles en massacres, sans compter les trahisons, c'est au Portugal où un terrible tremblement de terre a tout bouleversé, que les Incas s'installent et découvrent la vie européenne et la religion du « dieu cloué » avec ces « tondus » qui les reçoivent.
J'ai beaucoup aimé les commentaires, les appréciations du narrateur devant les incohérences d'une religion qui n'hésite pas à tuer, à brûler celles et ceux qui ne conviennent pas. L'inquisition est dans son âge d'or ou plutôt de sang et ceux qui vénèrent le Soleil sont terriblement choqués par ce qui se passe.
Pour mener à bien cette uchronie, Laurent Binet sait varier les types de récit utilisant à plusieurs reprises l'échange de courrier ce qui permet d'apprendre ce qui se passe en Angleterre, en Espagne, en Allemagne. La France reste un peu en dehors du jeu car François 1er, ennemi de Charles Quint, est plutôt un allié d'Atahualpa.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt toutes les améliorations apportées par ceux qui conquièrent le Cinquième Quartier, comme ils nomment leur territoire européen, les quatre premiers étant de l'autre côté de l'océan Atlantique. Tolérance, partage des richesses sont à l'honneur pour lutter contre les massacres et la famine.
J'ai eu de la peine parfois à m'y retrouver entre tous les personnages évoqués : soeurs, frères, demi-frères, demi-soeurs, épouses, maîtresses, concubines mais je me suis laissé porter par cette saga incroyable.
L'Espagne se révèle vite trop petite et l'auteur nous promène jusqu'aux Pays-Bas en passant par Gand, Bruxelles, en Allemagne, en Italie, après avoir conquis Tunis et Alger. J'ai aimé la partie traitant du problème posé par Luther et l'évocation de Thomas Müntzer mis en valeur par Éric Vuillard dans La guerre des pauvres.
Hélas, le temps passe et les plus belles utopies sont menacées. Des Mexicains débarquent et le sang coule à nouveau. Il y a aussi la bataille de Lépante dans une dernière partie qui met en scène Miguel Cervantès et un grec, catho intégriste. Je n'y ai trouvé d'intérêt que pour l'épisode se déroulant chez Michel de Montaigne, près de Bordeaux, avec des débats intéressants à propos, encore, de religion.
Comment terminer une histoire aussi folle qu'instructive ? Laurent Binet a choisi une fin assez énigmatique revenant presque au point de départ mais y avait-il une autre issue ? Cela n'enlève rien à tout l'intérêt d'un roman hors normes qui a le mérite de décrypter l'histoire officielle en la décortiquant, la passant par le prisme de regards complètement neufs. Réflexion salutaire s'il en est sur le poids des religions et le rôle des puissants.

Si tout cela était arrivé, je me demande si nous serions plus heureux. En tout cas, peut-être que ce Soleil adoré aurait permis d'éviter les plus grands drames qui ont endeuillé l'Europe ? le rêve est permis et merci à Laurent Binet d'avoir osé nous entraîner dans cette folle utopie de Civilizations, livre justement couronné par le Grand Prix du Roman 2019 de l'Académie française.

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L'idée de départ était originale, et inventive : l'exploration des océans par les portugais et espagnols au 15è siècle, à la recherche des Indes, se serait soldé par un échec cuisant et un revers de médaille inattendu, puisque l'invasion ratée des territoires outre-atlantique aboutit à l'invasion réussie des territoires de ce qui n'était pas encore l'Europe par les Incas. Ce qui change la donne! Il faut bien sûr une série d'événements de hasard (l'abord de la capitale portugaise alors qu'une terrible tremblement de terre a déstabilisé le peuple et ses dirigeants , la complicité des hérétiques chassées par l'inquisition..). Peu à peu, l'identité religieuse de nos contrées se modifie, non sans grincement de dents, grâce à l'apport du culte des conquérants, à savoir le Soleil.


On a bien envie d'en savoir plus, après s'être un peu ennuyé sur la partie invasion des Vikings, et beaucoup sur les aventures de Christophe Colomb. Et c'est là que réside la déception : le récit s'attache davantage aux compte-rendus de batailles, et à l'avancée des troupes, avec bilans des pertes en hommes et en biens, qu'aux conséquences tangibles sur la vie des peuples. Certes sont évoqués l'évolution des moeurs en insistant sur la polygamie, mais c'est une dystopie dans laquelle on se borne à mettre en place les faits sans se pencher sur le résultat. Et l'on aurait bien aimé savoir ce que devient cette civilisation alternative 500 ans plus tard.

Cela rend la lecture peu attractive, sauf si l'on est amateur de faits historiques, et le roman passe à côté de son but.

Cela ressemble un peu en effet au jeu de stratégie qui donne son titre au roman, sans le compte des points, mais bien avec juste une évocation des performances des adversaires.



Déception. Idée à reprendre?
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Un roman qui défrise la chronologie du monde !

Dans son excellent premier roman « HHhH», Laurent Binet avait déjà démontré son goût pour l'histoire. Il racontait l'opération visant à assassiner le « boucher de Prague », Reinhard Heydrich, durant la seconde guerre mondiale. Au-delà du récit que j'avais trouvé passionnant, le livre soulignait les hésitations de l'auteur à romancer la réalité historique. Je garde un souvenir vivace de cette lecture qui date de 2010 tout en ne partageant pas la critique formulée par l'auteur à l'encontre de Jonathan Littell qui aurait travesti l'Histoire et son grand H dans « les Bienveillantes ». Je pense que le roman doit rester un espace de liberté et je considère "Les Bienveillantes" comme l'un des romans les plus précieux de ces 20 dernières années.

Pour Civilizations, l'auteur s'est posé moins de questions déontologiques et il a sauté, les deux pieds dans la flaque de l'histoire globale. Et c'est tant mieux, car il a laissé de côté une certaine préciosité, observée également dans «La septième fonction du langage», son deuxième roman.

Il décide ici de renverser les lois de la gravité historique et fait du Vieux Continent, le Nouveau Monde. Un effet miroir déformé de notre ethnocentrisme.

A changer le cours des choses, autant détourner de son lit un océan plutôt qu'un petit torrent. le roman s'ouvre sur l'amarrage douloureux des vikings, plaisanciers un peu rustres, sur les côtes américaines en l'an mil. Comme le viking n'a pas l'âme sédentaire mais possède la curiosité d'un étudiant Erasmus, la fille d'Erik le Rouge partage avec les autochtones ses défenses immunitaires et la métallurgie du fer.

La seconde partie présente le carnet de voyage raté de Christophe Colomb dont l'expédition échoue misérablement en 1492, faute de GPS et à cause d'un évangélisme intolérant et d'une avidité sans limite.

En 1531, les Incas envahissent l'Europe. Ils débarquent à Lisbonne juste après un grand tremblement de terre. Comment Atahualpa, empereur d'une armée de quelques centaines d'hommes va parvenir à conquérir l'Europe, défaire Charles Quint, convaincre la population d'abandonner la religion du « Dieu cloué » pour celle du Dieu Soleil en pleine période d'Inquisition ?

Laurent Binet réussit à rendre crédible cette conquête par une bonne dose d'utopie qui accompagne cette réécriture de l'histoire. L'Inca obtient l'adhésion du peuple par la redistribution équitable des récoltes et la substitution de l'impôt par des travaux d'intérêt généraux. Un empereur communiste… mais également capitaliste puisque il inonde l'Europe de l'or qu'il fait venir par bateau depuis les Amériques pour acheter le pouvoir.

J'ai également été convaincu par la description de la diplomatie déployée par cet empereur Inca, qui lit Machiavel et applique à la lettre la devise « Diviser pour mieux régner », jouant des rivalités séculaires des dynasties régnantes.

Dans cette aventure qui donne le tournis au globe terrestre, l'empereur croise les grandes figures intellectuelles et artistiques : Thomas More, Erasme, Luther, Titien…. Autant d'occasions pour évoquer le pouvoir de l'art, l'intolérance religieuse et les inégalités.

J'ai vu que certains billets présentaient des avis plus mitigés. Pour ma part, comme l'Europe, j'ai été conquis par cet Inca et si la Terre tourne autour du soleil, il est heureux de voir que certains romans ne tournent pas seulement autour du nombril de leurs auteurs.

S'agissant de l'exercice uchronique, je pense que « le complot contre l'Amérique » de Philip Roth est plus maîtrisé que « Civilizations », mais ce roman, qui est aussi un conte philosophique, est une belle réussite. Si Fernand Braudel a construit la « grammaire des civilisations », Laurent Binet se permet avec un certain brio de changer les règles de conjugaison en s'inspirant aussi des théories de Jared Mason Diamond sur l' « Effondrement » des civilisations.

Prochain challenge uchronique ambitieux : Et si Adam n'avait pas croqué dans la Pomme ?
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Une idée brillante ! on refait l'Histoire en partant de trois postulats : les Incas ont été vaincus par les envahisseurs venus d'Europe car ils n'étaient pas immunisés contre toutes les infectieuses apportés dans les « cales et les corps » des marins, donc des morts en masse.

Ils ne possédaient pas de chevaux, ni les techniques maîtrisées par les colonisateurs. Donc impossible de lutter…

Première idée de génie : les Vikings ont débarqué quelques siècles auparavant et ont permis une sélection naturelle : une partie les Incas se sont immunisés naturellement contre certaines maladies infectieuses et qui dit anticorps dit résistance à l'arrivée des miasmes des colonisateurs, donc exit l'hécatombe et l'infériorité numérique.

De plus, guerre fratricide entre deux frères descendants du Soleil : Huascar et Atahualpa. Acculé à la défaite, ce dernier s'enfuit avec ses hommes au bord du dernier bateau (et oui, ils étaient tellement en retard sur la science européenne qu'ils ne savaient pas fabriquer et encore moins maitriser les navires!

Atahualpa aépousé une princesse cubaine Higuénamota qui va jouer un rôle important dans sa conquête et lui servir souvent d'ambassadrice, d'égérie… il s'est entouré de conseillers aux noms tous aussi imprononçables tel Chalco Chimac, Quizquiz…

Poussés par des vents favorables (cela tient à si peu de chose une découverte et un effet papillon !) Atahualpa et ses hommes débarquent à Lisbonne puis dans l'Espagne de l'Inquisition, où l'on exécute à tour de bras tout ce qui ne pense pas catholique pur et dur. Il assiste horrifié aux scènes où les gens sont brûlés vifs.

Comment faire pour s'installer et mettre en place le culte du Soleil à ces croyants obtus qui vénèrent un « Dieu cloué » pour reprendre son expression ? S'allier à ceux que l'on persécute : « morisques », juifs, mettre en place sa propre lignée en épousant des reines ou princesses (ils sont tous cousins entre eux, même s'ils se font la guerre…)

Une invention de génie permet à Atahualpa de lire « le prince » de Machiavel et il va s'en inspirer pour mettre en place ce qui ressemble beaucoup au premier régime socialiste : laisser les paysans profiter de la terre qu'ils cultivent au lieu d'être rançonnés par les Seigneurs qui ont besoin de toujours plus taxer les pauvres pour faire des guerres…

Atahualpa comprend aussi très vite qu'il faut produire pour se nourrir, favoriser le commerce (on dirait de nos jours équitable) donc il établira des liens avec toutes les dynasties en place pour les réformer…

On va croiser ainsi Charles Quint, François Ier, Luther qui veut imposer sa religion et à qui on va réserver un sort impressionnant, sans oublier un personnage extraordinaire : Hassan al-Wazzan alias Léon l'Africain qui m'a toujours fascinée et que j'ai découvert grâce au roman magnifique d'Amin Maalouf que j'ai lu au moins deux fois…

Quelle belle revanche sur Pizzaro et Cortes, héros tristement célèbres de la conquête du Nouveau Monde !

On fait beaucoup d'autres rencontres et la dernière partie est excellente mais je n'en dirai rien pour ne pas divulgâcher… (j'adore ce mot, tellement plus beau, mystérieux et savoureux que « spoiler »

Ce livre, une uchronie, est excellent car il repose sur les solides connaissances de Laurent Binet sur Christophe Colomb, les cultures amérindiennes, mais aussi l'histoire de l'Europe. L'imagination marche si les bases sont solides au niveau culturel et historique.

Cela m'a un peu gênée au début de ma lecture, car je me suis peu documentée sur « la découverte des Amériques » parce que pour moi, Christophe Colomb a sur les mains le sang des Amérindiens, premier génocide qui mériterait d'être reconnu par les Ricains mais à l'ère du trumpisme flamboyant, (j'allais écrire triomphant mais flamboyant convient mieux, plus adapté à la chevelure du maître de l'univers), on en est loin.

Cela a failli me coûter cher, m'empêchant de savourer pleinement ce roman. En fait j'exagère un peu, je ne suis pas aussi ignare que je le prétends et ce livre m'a rappelé un ouvrage qui m'avait passionnée à l'époque : « 1492 » de Jacques Attali. Il m'a donné une furieuse envie de m'y replonger.

J'ai fait une pause dans ma lecture pour aller réviser un peu et cela m'a permis de savourer pleinement chaque instant, chaque phrase… C'est une lecture qui se mérite, il faut prendre son temps. J'en suis sortie d'ailleurs avec une envie folle d'aller explorer la civilisation Inca…

L'écriture de Laurent Binet est superbe, on peut s'immerger dans le passé simple, l'imparfait du subjonctif avec délectation. Et dire que « La septième fonction du langage attend toujours dans ma PAL…

Bref, vous avez compris ce roman est un coup de coeur, je pourrais en parler pendant des heures, et bingo, il vient de recevoir le grand prix de l'Académie Française !

Un immense merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m'ont permis de lire cette pépite. Je vais acheter la version papier pour le plaisir de me replonger dans cette belle fresque historique….

#Civilizations #NetGalleyFrance
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Livre de ma PAL depuis presque un an. Attiré par le titre qui reprenait le seul jeu de stratégie que j'ai pratiqué, version après version, sur chaque nouvel ordi, de civ 2 à civ 6
Tout le monde connaît le synopsis : l'auteur renverse le cours de l'Histoire à partir du quinzième siècle et l'ancien monde se substitue, en nom et en acte, au nouveau. L'Europe est ainsi de fait colonisée par l'Amérique du Sud. le reste ; Inde, Afrique, Extrême Orient, étant plus ou moins laissé dans l'ombre de cette histoire alternative.
L'écriture est plaisante, différents styles se succèdent : narration classique, échanges épistolaires, journal, chroniques . . . Ce voyage de l'Amérique du Sud vers l'Europe est un exercice de style littéraire.
Les allusions, les parodies se succèdent, cela fait sourire lorsqu'on les reconnaît mais peut aussi lasser car on cherche finalement de plus en plus à identifier l'original de chaque citation, de chaque phrase ou presque. On glisse doucement d'un roman en propre, qui aurait pu être vraiment original, au miroir de tous les autres. On en vient même à se demander si ce livre n'est pas fabriqué pour étaler une culture de salon.
C'est alors que le reste du questionnement commence à apparaître, masqué qu'il était par la chevauchée héroïque de l'Inca . . .
Pourquoi ? La colonisation est-elle une obligation ? le jeu cité plus haut développé par les étasuniens et donc les européens, qui part du principe que, déguisés en aztèque, en chinois, en zoulou, toutes les civilisations humaines souhaitent dominer la planète entière, est-il une représentation si fidèle du monde ? Ou est-ce encore une forme d'ethnocentrisme occidental ?
Surtout, lorsqu'on s'approche du dénouement, de la fin de l'histoire (merci Francis), on reste un peu sur sa faim : on se dit « tout cela pour ça ? ». Cervantès envoyé dans le nouvel ancien monde pour y faire connaître la littérature ? Traduire « notre littérature » érigée en alpha et oméga de l'universalisme.
Ces questions s'installent doucement, au fil du développement de cette épopée qui aurait gagné à moins de convention, moins de clins d'oeil et à plus de transgression.
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Nos ancêtres les incas

Dans une ébouriffante uchronie, Laurent Binet imagine que les européens n'ont pas colonisé l'Amérique, mais que les Amérindiens se sont installés en Europe. L'occasion de réviser quelques jugements tout en s'amusant.

Après nous avoir régalé avec La septième fonction du langage, sorte de thriller autour de Roland Barthes, Laurent Binet remonte plus loin encore dans le temps et n'hésite pas à réécrire l'histoire dans une savoureuse uchronie. Je ne sais s'il faut d'abord applaudir la virtuosité d'un récit qui entraîne le lecteur dans une épopée formidablement romanesque, l'érudition de l'auteur qui s'appuie sur une solide documentation ou encore l'habileté de la construction qui nous pousse à remettre en cause certains jugements un peu trop hâtifs sur l'Histoire telle qu'elle nous a été enseignée. Toujours est-il qu'on se régale de cette version joyeusement apocryphe qui, pour faire plus vrai, mêle différentes techniques narratives en nous proposant le journal de bord de Christophe Colomb, les minutes d'un procès, une correspondance entre des incas parcourant l'Europe et ceux resté au pays, quelques témoignages et même les articles d'une nouvelle constitution.
Après avoir une bonne fois pour toutes confirmé que Christophe Colomb ne fut pas le premier à poser le pied en Amérique mais les vikings qui, après avoir trouvé le Groenland peu hospitalier ont repris la mer vers le «pays de l'Aurore», avant d'arriver à Cuba puis gagner le continent du côté de Chichen Itza et de pousser jusqu'à Panama. En se mêlant à la population, ils importent les maladies, mais finissent par développer des anticorps.
À la saga de Freydis Eriksdottir succède l'expédition de Colomb et son édifiant journal de bord. le rêve de gloire va se transformer en déroute et les trois caravelles avec leur poignée d'hommes ne pourront rien contre des autochtones assez malins pour comprendre la menace qui pèse sur eux et s'emparer des navires. Les voilà équipés pour prendre à leur tour le large. En 1531, les Incas envahissent l'Europe et vont bénéficier, pour leur part, de circonstances favorables. Lorsqu'ils débarquent à Lisbonne, un tremblement de terre vient de secouer la ville, entraînant panique et désorganisation. Atahualpa, leur chef, va très vite réussir à s'intégrer parmi les sphères dirigeantes grâce à un sens inné de la ruse et une faculté à décoder la psychologie de ses interlocuteurs. La lecture du Prince de Machiavel achève d'en faire un fin stratège qui va profiter des antagonismes et des appétits des différents monarques pour s'imposer dans cette Europe où les catholiques affrontent les partisans de la réforme. On peut de reste s'interroger à juste titre sur l'humanité de l'inquisition face à ceux qui implorent le dieu soleil.
Laurent Binet s'amuse ainsi à truffer le roman de clins d'oeil à l'Histoire officielle qui voudrait que la civilisation soit européenne et les sauvages américains. Ce n'est du reste pas la moindre des vertus du livre: nous offrir des lunettes qui nous permettent de regarder avec un oeil neuf l'Europe de Charles Quint et cette politique d'alliances et de trahisons, y compris matrimoniales. Vous l'avez compris, on apprend beaucoup dans ce roman tout en s'y amusant. Mais n'est-ce pas là la marque de fabrique du plus facétieux de nos romanciers?

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L'Histoire déraille grave dans ce nouveau roman de Laurent Binet !
La faute remonte aux vikings, qui ne se sont pas contentés de s'établir au Groenland mais ont décidé de pousser plus au sud. Dans cette uchronie éblouissante ils sont même allés jusqu'à Cuba, où ils ont apporté, entre autres, l'usage du fer, leurs dieux et des maladies qui ne feront plus de ravages près de 500 ans plus tard. Autant de raisons qui expliquent que la destinée de Christophe Colomb sera sensiblement différente de ce qu'elle a été.

Le Nouveau Monde, par un effet de renversement, devient alors l'Europe. Pour Atahualpa, empereur Inca déchu, c'est une nouvelle terre où se refaire. Et c'est bien ce qui se produira. Mais, comme la vraie, cette histoire alternative sera faite de nombreuses surprises.

Je ne sais si on lit et commente encore Voltaire au collège, mais ce texte jouissif a tout d'un Candide d'aujourd'hui. D'abord par ce qu'il est intelligent, pétillant, et puis aussi par son ton drôle et ironique. On y rencontrera beaucoup d'autres influences littéraires, à commencer par Montaigne qui fera une apparition en guest-star, avec Cervantès et Le Greco, excusez du peu !

La forme de ce roman n'est jamais figée : se succèdent récit en forme de Saga, journal, échanges de lettres, chroniques. La variété de la forme fait que jamais on ne s'ennuie alors que l'argument de départ m'avait tout d'abord paru difficile à tenir sur la distance de presque 400 pages.

Chapeau bas à l'auteur, qui m'avait beaucoup amusé avec « La septième fonction du langage » et qui confirme ici tout son grand talent de conteur qui donne matière à réfléchir.

Je remercie NetGalley et les éditions Grasset pour m'avoir autorisé l'accès à l'édition numérique de ce texte.
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Cet auteur sort vraiment de l'ordinaire. Ici, nous avons une uchronie d'un genre particulier.

Je tiens à rester fidèle à mon principe de ne rien dévoiler de l'histoire mais je vais devoir lever des fragments de rideau pour être clair.

Pour résumé brièvement, là, le nouveau monde est l'ancien et vice versa. du coup, les conquistadores viennent de l'ancien monde, celui qui, pour nous, est le nouveau. C'est clair ?

C'est bien une uchronie vu que l'ensemble repose sur des SI et qu'avec ces SI, on a une réécriture de l'histoire.

Mais en même temps, on croise des visages connus comme Michel Ange, le Titien, Cervantes ou encore Montaigne et d'autres qui tous sont ceux que nous connaissons (sculpteur, peintre, écrivain, magistrat, philosophe etc.) dans un univers différent et donc avec des modes de pensées adaptés à la situation imaginée. C'est parfois un peu déroutant et oblige à opérer quelques retours en arrière. D'autres personnages tout aussi connus ont moins de chance et ne peuvent que disparaitre car ils constituent des obstacles trop grands.

Un autre aspect passionnant est l'approche "politique". le mode de gouvernance devient totalement différent. Celui mis en oeuvre par les nouveaux, venus de l'ancien monde, celui qui est notre nouveau, n'est pas sans rappeler une forme de communisme, plus exactement de marxisme.

Côté moeurs, il n'y a pas vraiment de différence. Ce que les uns appellent épouses secondaires, les autres les nomment maitresses. Même s'il y a de rares exceptions dans les deux camps, c'est bien le patriarcat qui domine tous les camps.

Enfin, il y a toute une réflexion autour des religions qui, a bien y regarder, sont toutes monothéistes (un être suprême et des seconds, le nom varie pour les seconds mais ils sont toujours présents).

On peux reprocher à l'auteur des formulations un peu ampoulées. A trop vouloir coller à l'époque, le langage devient parfois sibyllin.

et on peu soupçonner l'auteur d'avoir un égo un peu surdimensionné.

L'ensemble étant écrit comme une certitude, il n'y a pas vraiment de vulgarisation et quelques recherches annexes facilitent la compréhension. Quelques éléments, en avant-propos ou en postface auraient été utile.

Hors ces petites réserves, c'est un bon ouvrage qui se lit aisément.
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Je n'ai pas pu résister à l'accroche du dernier roman de Laurent Binet :

« Vers l'an mille : la fille d'Erik le Rouge met cap au sud.
1492 : Colomb ne découvre pas l'Amérique.
1531 : les Incas envahissent l'Europe. »

Voici une uchronie fort bien imaginée avec pour personnage principal Atahualpa Ier, roi d'Espagne, prince des Belges et des Pays-Bas, roi de Tunis et d'Alger, roi de Naples et de Sicile, empereur du Cinquième Quartier.

Pour info, Atahualpa a été le dernier empereur de l'Empire inca indépendant et a été exécuté en 1533 par les envahisseurs espagnols.

En toile de fond : l'Histoire entre 1531 et 1544 (et donc les guerres de Religion qui opposaient les catholiques et les protestants), des personnages secondaires comme Charles Quint, Pizzaro, Martin Luther, Erasme, François Ier et tant d'autres…

J'ai adoré le point de vue inca sur la religion du dieu cloué, les réformes sur la liberté de culte et la paysannerie, les 95 thèses de Luther revisitées (cfr. Les 95 thèses du Soleil), etc.

Il y avait pas mal de passages assez jubilatoires quand certains personnages historiques en prennent pour leur grade !

C'est raconté comme dans un livre d'histoire mais je pense qu'une forme plus romancée m'aurait permis de mieux apprécier le personnage d'Atahualpa. Il n'y a pas de dialogues, quand les personnages s'expriment c'est par lettre. C'est original mais cela crée une distance, je ne sais pas si je me fais bien comprendre ?

La quatrième et dernière partie sur les aventures de Cervantes m'a un peu ennuyée. J'aurai préféré un épilogue se projetant sur notre siècle.

Quoi qu'il en soit, un très bon moment de lecture qui m'a donné envie de me pencher sur l'histoire véridique d'Atahualpa.




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