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Critique de absolu


« Je me suis offert une expédition faramineuse dans les petites rues de mon quartier. Je les connais toutes. J'y ai joué pendant l'enfance, et adolescent, j'y ai erré. Mes amarres ont toujours été courtes. Ou alors, c'est que je suis né sans ailes : le destin m'a très tôt amputé de toute vocation de migrateur. Je n'aurais jamais été qu'un piéton de la vie. Et alors ? Si le périmètre où je piétine mes pas anciens manque d'immensité, si mon bout du monde n'est pas au bout du monde, et si je n'en possède qu'un tout petit morceau, au moins je m'y retrouve. Quelques ruelles, une place, des immeubles familiers, des perspectives san,s surprise, des lieux tranquilles : un paysage à voix basse. Ici, les rues ignorent l'agitation. Elles sont hors des circuits importants. Les grandes voies évitent cette partie de la ville. le plus souvent, l'automobiliste égaré qui s'y risque ne sait pas exactement où il va. Ce sont des rues d'inadvertance. Oui je ressemble bien à mon quartier. Nous ne cherchons vraiment pas à attirer l'attention.

L'on se promène dans cette histoire comme le narrateur se promène dans les rues de son quartier natal, avec nostalgie, humour et parfois tristesse. En avançant cahin caha, au gré des mutations de l'entreprise, de l'être humain, en passant au travers des mâchoires carnassières des nouveaux requins toujours plus performants, Pierre observe en direct les temps qui changent, et les gens avec. Il joue avec les mots comme ses supérieurs jouent avec sa carrière. Non pas qu'il soit un mauvais élément, au contraire, mais que voulez-vous, vous n'êtes pas assez agressif, pas assez mordant. de quoi en attraper une rage de dents. Mais lui c'est plutôt les intestins qui s'agitent, qui le chamboulent. Il y a bien Hélène, avec qui il vit une relation aussi intense qu'une correspondance, mais aux lectures assez espacées. Et pourtant. Plumier, son DRH, qui se fera plumer parmi les premiers. Sa nouvelle patronne, en liens étroits avec sa secrétaire attitrée. Aussi étroits que l'impasse dans laquelle il vit maintenant. « J'habite une impasse. On ne sait pas ce que c'est qu'une impasse avant d'y avoir mis les pieds. le profane imagine que ce n'est qu'une rue empêchée, un morceau de voie qui va donner du nez contre un obstacle et qui reste là, interdite, désemparée, sans savoir où aller. Une rue sans avenir et sans descendance : une vieille fille urbaine. »

Une vie pas vraiment noire, tirant plutôt sur le gris, comme la robe de la directrice, avec quelques éclaircies, comme les joues des femmes, de Juliette, sa secrétaire à lui, joues contre lesquelles il aimerait passer ses journées, pleines de promesses de sourires, de douceur. Pleines.



(amours, belles amours), nostalgie des ébats volés à quelques corps souples et acrobates, vigueur de plantes encore bien vertes, « le diable au coeur ». Jeunesse envolée, restructuration de la société, il en faut des ailes pour survoler, voir tout ça de haut. Coeur à l'envers, intestins trop ingrats, hôpital, billard, charcutage, arrêt maladie, retour difficile, effectif renouvelé, bureau déjà occupé, collègues sacrifiés, exténués.



Jeux de mots alambiqués, pour ne pas piquer du nez, ne pas sombrer, surtout. Humour toujours, corrosif, tendre, blasé, l'humour au secours de la détresse, et Hélène, qui voudrait capter ses signaux de fumée.

« Ensuite, je n'ai fait ni une ni deux, j'ai fait trois », « sachez que j'ai ici-même un émile, une belle adresse avec un bel acrobate au milieu », « cohoutchinne d'image », francisation de l'anglais pour dénoncer le jargon souvent ridicule des sociétés françaises qui veulent être « in », mais qui sont déjà « out ». L'auteur déplore sans jamais se plaindre le manque d'humanité, enfin plutôt la perte de celle-ci, dans un monde socio-économico-marketingo-financier dur, froid, gris. « Ne dite plus terminer, achever, mettre au point, fignoler, aboutir, conclure, conduire à son terme, mener à bien, finir, arrêter, clôturer, parachever : dites finaliser. » « on finalise bien les chevaux ». « Et temps réel alors ? Ne dites plus café instantané, dites du café en temps réel. » C'est ça le "méchant daïzinngue"



Quand le nouvelliste se met au roman, c'est un pur régal.. on ne reste pas sur sa faim. Quoique.. de ce style j'ai grand appétit.. Et le narrateur, quoiqu'il en dise, garde une belle soif de vivre.. ça tombe bien, ce livre m'a mis l'eau à la bouche.. Il y a des chances pour que je remonte à la source...
Lien : http://www.listesratures.fr/..
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