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Critique de Godefroid


Matt Scudder 16: Les fleurs meurent aussi (2005)

Alors que dans ce 16e opus qui lui est consacré Matt Scudder tape carrément dans l'âge de la retraite en coulant des jours paisibles avec sa douce moitié Elaine, les échos de l'exécution prochaine d'un tueur en série parviennent à ses oreilles par presse interposée et autres conversations de bar. le psychopathe condamné s'appelle Preston Applewhite ; le gars a tout du brave père de famille sans histoires ni antécédent judiciaires ou psychiatriques. le problème, ce sont les preuves qui se sont accumulées de façon accablante, dissipant tous les doutes du jury et de la cour quant à son implication dans le meurtre sadique et sauvage de trois adolescents. Au zinc, ça disserte plein pot : la peine de mort pour des types pareils, ça tombe sous le sens. Mais d'une façon plus générale, le châtiment suprême est-il admissible dans un système social qui se targue d'être à la pointe dans l'histoire de l'humanité ? La justice peut se planter quand même, et là rien ne va plus (pensez à tous ses noirs qu'on a fait sortir du couloir de la mort après quelque analyse d'ADN…). Scudder prête une oreille distraite à un discours qui pourrait faire penser que papa Block en viendrait à nuancer son opinion radicale bien connue de la question. On y reviendra.

Un mystérieux psy vient visiter Preston Applewhite et l'assister dans ses derniers jours. Il lui dit croire à son innocence ; au Preston, ça lui fait un bien fou. Cette amitié de dernière minute vaudra au psy l'ultime faveur du condamné, une invitation à son dernier show, sponsorisé par l'état de Virginie. Passé le spectacle, le mystérieux psy s'évapore dans la nature. Mais ne serait-ce pas lui qui ressurgit à New York pour assassiner sauvagement la meilleure amie d'Elaine avec un coupe papier ancien acheté quelques heures plus tôt dans son magasin d'antiquités ? Elaine et Matt sentent bien qu'une présence maléfique leur tourne autour. Branle-bas de combat : tous les potes flics, ex-flics et autres lascars au pedigree plus trouble seront de la partie pour coincer ce fléau majuscule, aussi intelligent qu'insaisissable.

Je lâche tout de suite le morceau : voilà la suite tant attendue du superbe « Trompe la mort », qui renouait avec les ambiances crépusculaires savamment élaborées par Maître Block dans ses meilleures oeuvres. La narration est toujours aussi efficace ; on progresse sans effort dans une intrigue qui, cette fois, ne surprend plus vraiment. Une impression de déjà vu persiste tout du long, le vilain du jour n'étant pas le premier lascar à traquer notre héros depuis sa genèse 30 ans plus tôt. Par ailleurs, Matt se montre particulièrement décevant ; à aucun moment son flair de détective n'épate comme dans l'épisode précédent. Ses déductions paraissent bêtement fabriquées et assénée par l'auteur sans véritable soucis de vraisemblance.

Sur le fond, comme évoqué plus haut, on pouvait attendre de Lawrence Block une évolution de ses idées réactionnaires à la mode Yankee, de son attitude partisane sans nuance concernant la peine capitale (qu'il épanche sans retenue au cours de diverses interviewes). Avec James Lee Burke, James Elroy et autres Andrew Vachss, Block fait partie de ces auteurs talentueux complètement imbibés d'une vision de l'homme brutale et simpliste bien répandue aux Etats Unis, qui ne sait peser les individus qu'en fonction de leurs actes, en négligeant la réalité même des êtres, leur histoire, leurs facultés, leurs aspirations profondes. Une vision très pratique, parce qu'accessible et populaire, qui permet de confondre chacun avec son tout puissant libre arbitre : si tu fais des conneries, c'est que tu as choisi de les faire, et on va te punir pour ça mon salaud. L'ami Block, qui se range ainsi à l'opposé des non moins talentueux George Pelecanos, Richard Price ou Pete Dexter, est-il définitivement incurable ? Ce n'est pas ce nouveau roman qui nous permettra de répondre par la négative. le pompon est atteint dans les dernières pages lorsque notre héros fait le compte des victimes du méchant : après les celles de l'épisode précédent, les trois ados attribués par erreur à Applewhite et celles suppliciées en live dans le présent volume, Scudder a le culot d'y ajouter Preston Applewhite lui-même, dégageant implicitement de toute responsabilité un système judiciaire qui conduit des innocents dans la tombe. En admettant que Scudder porte la parole de son auteur (assimilation à mon sens peu risquée) et en considérant l'intelligence remarquable dont ce dernier a fait preuve dans ses plus incontestables réussites, on ne peut qu'être déçu de ce refus de pousser plus loin la réflexion, de cet d'aveuglement volontaire devant l'aberration que représente la peine de mort dans une société qui revendique l'équité. Cela relève presque de la schizophrénie.

Une déception modérée : la traduction, tout à fait honnête dans l'ensemble, pulvérise néanmoins quelques expressions branchouilles jusque dans la bouche de Matt le retraité… ça sonne faux et c'est plutôt énervant. Souhaitons qu'Etienne Menanteau (à qui le Seuil confie aussi la traduction de Pelecanos avec un bonheur pareillement mitigé) se débarrasse très vite de ses petits tics désagréables.
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