Petain : Je ne sais pas si vous vous rendez compte que nous perdons ici à Verdun 3000 hommes par jour.
Joffre : Je le sais , mon cher Petain, mais il s'agit de gagner la guerre.
Joffre avait évidement le droit de se rappeler, par exemple, la parole échappée à Napoléon devant les morts du champ de bataille de Wagram :
" Une nuit de Paris réparera tout cela."
Quelque chose se produisit.
Les hommes virent la mince couche de neige tomber des branches; Avant tout bruit, avant même que fut perceptible le grand claquement de l'horizon, la neige se détacha des branches et tomba.
Quelques minutes plus tard, le général Passaga inscrivait quelques lignes sur son journal : " Je perçois nettement, par le sol de mon abri, un roulement de tambour incessant, ponctué de rapides coups de grosse caisse."
L'abri du général Passaga se trouvait dans les Vosges à 160 km de Verdun.
21 février 1916, 7h15 la bataille de Verdun vient de commencer.
La plupart de ces soldats qui avaient commencé par marcher joyeusement derrière l'ennemi en retraite, respiraient pour la première fois l'odeur de la guerre, ils la découvraient.
Pas mal d'entre eux devaient connaitre cette odeur pendant des années, sans jamais s'y faire; la plupart sans oser jamais en parler, car elle leur faisait éprouver une espèce de honte pour le genre humain.
En certains points, les fantassins allemands vont franchir les premières lignes françaises sans s'en apercevoir. Sans avoir le moindre indice que là ont existé des tranchées, des abris, des rondins, des sacs de sable, des morceaux de caisses et des êtres humains.
Et voilà l'extrême début de la bataille de Verdun : ces premières positions qui ont intégralement disparu; qui ont sombré dans le sol, corps et biens.
Dans la tranchée allemande bien creusée au fond de laquelle il y a maintenant quinze centimètres de boue, les hommes frémissent, assourdis, le visage contracté. En regardant bien on voit que la boue dans laquelle plongent leurs bottes frémit, elle aussi, remuée par les ébranlements du sol. C'est le tonnerre allemand qui est déchaîné, mais cependant ces hommes sont courbés sous l'angoisse, leur cerveau comme brûlé car nul ne saurait déchaîner impunément un tel tonnerre. Parfois ils sont jetés contre la paroi de leur tranchée par le souffle d'un obus de 420 passant au-dessus de leur tête, énorme train de ferraille roulant dans les airs, et ils sentent sous leurs pieds le roulement de mille trains souterrains.
Trois heures de l'après-midi. Bruit et souffrance, on a le cerveau brûlé et en même temps on a froid, car le temps s'est couvert et la neige commence à tomber. Ceux d'en face doivent à peine s'en apercevoir, l'ouate silencieuse qui descend du ciel se volatilise à la fureur des explosions bien avant de toucher le sol, mais ici elle arrive jusqu'aux hommes à travers le passage des obus. La neige après le froid, après la pluie. Les troupes d'assaut occupent les tranchées de première ligne depuis maintenant neuf jours. Plusieurs fois les généraux commandants de corps d'armée ont demandé s'ils pouvaient relever ces troupes mais chaque fois la réponse a été : " Non, l'attaque va être déclenchée très probablement demain matin ". D'un matin à l'autre, d'un matin à l'autre, terrible attente. A peine est-il besoin de parler de la souffrance physique: pieds dans la boue, froid, nourriture froide, beaucoup de malades du ventre. A l'assaut en caleçon brenneux, camarade, voilà un sujet de plaisanterie parmi les Stosstruppen !.
Des hommes tombent en jurant, des hommes tombent avec un cri, des hommes tombent sans un mot, comme des sacs de terre. Le phénomène Verdun a commencé
Dans ce que nous nommons sans penser à sa réalité " guerre d'usure", on pourrait appeler bouchers tous les chefs militaires qui ont donné l'ordre d'attaques et de contre- attaques, dont l'objet ( avoué ou non ) n'était pas d'obtenir un résultat tactique ou stratégique, mais d'obtenir, au prix de pertes acceptées d'avance, une diminution du nombre des soldats ennemis.
Constamment, sans la moindre interruption, tombait du ciel jaune obscurci une pluie de fin du monde faite de terre, de branches, de pierres, de poutres, d'armes brisées, de morceau de métal, de fragments humains. Il n'était pas question d'un autre mouvement humain. Toute présence humaine se trouvait réduite à une terreur terrée. Sur tout être vivant non encore volatilisé, écrasé, la violence jamais connue du déchaînement produisait un effet de constriction des vaisseaux sanguins qui abolissait toute volonté, toute autre sentiment que la terreur animale, ...
Huit mille obus par jour. Les gros ébranlaient tout et ils vous secouaient, vous tordaient l'estomac. Chaque fois la poussière était soulevée, répandue et souvent elle n'avait même pas le temps de retomber entre deux explosions.