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Critique de Sachka


Eh Tonton, est-ce que t'as regardé dehors ?
Sur l'avenir de nos enfants il pleut de
plus en plus fort
Quand je pense à eux pourtant,
j'aimerais chanter un autre thème
Mais je suis plus trop serein, je fais
pas confiance au système
...
Ma petite gueule d'amour, mon Polo,
mon ami Châtaigne
On va rien lâcher, on va aimer regarder
derrière pour rien oublier,
Ni les yeux bleus ni les regards noirs
On perdra rien, peut-être bien un peu,
Mais ce qu'il y a devant c'est si grand
...
Un extrait que j'ai dû à mon grand regret entrecouper car il est très long : "Course contre la honte", chanson cosignée en 2019 par Richard-Bohringer et Grand Corps Malade.
"On va aimer regarder derrière pour rien oublier... Mais ce qu'il y a devant c'est si grand". Voilà qui résume parfaitement ce sublime roman.

Richard Bohringer est né en 1942 à Moulins dans l'Allier, un père allemand (un soldat), une mère française, pas facile tout ça surtout dans les années 40. Élevé par sa grand-mère il voue très tôt une passion pour le jazz, l'écriture et la comédie. Passionné il le restera et notamment par l'Afrique (il est nationalisé sénégalais). L'Afrique qui déploie ses ailes tel un oiseau majestueux tout au long de ce récit que le poète Bohringer nous livre de sa chambre d'hôpital où il a été admis pour une vilaine maladie.

"Le capitaine de tous les bateaux de la mer" prend la barre de son rafiot imaginaire pour affronter la tempête, la fièvre qui le terrasse. Et Vogue le poète, des flots de mots, à fleur de peau, qui vous donnent le vertige, qui vous bousculent, qui vous bouleversent. Mon Dieu que c'est beau !

De délires en rêves éveillés : l'Afrique, le Mali, la Bolivie, Bogota, paysages merveilleux, s'entremêlent avec la réalité cruelle de l'univers aseptisé de l'hôpital. Visions éphémères, doux mirages d'un passé pas si lointain resurgissent alors qu'il s'accroche à la vie, qu'il s'accroche au bateau pour l'empêcher de sombrer. Un récit qui résonne tel un exutoire, Richard Bohringer fait son mea-culpa, il invoque ses démons, l'alcool, la drogue, souvent avec dérision. Il convoque ses proches et ses amis disparus, tous là-haut dans l'aéronef, son père, sa mère, sa grand-mère, son frère, Philippe Léotard, Charles Matton, Mano Solo, Bernard Giraudeau (en postface) et j'en passe, sous la houlette de l'énigmatique "Grand Singe", son ange gardien, qui ne le quittera qu'une fois le rafiot remis à flots.

Il y a de l'amour, beaucoup d'amour dans l'écriture de Richard Bohringer. Il y a de la colère aussi, une putain de colère mais comme il dit si bien : "La colère ça fait vivre, quand t'es plus en colère, t'es foutu !"
"Traîne pas trop sous la pluie" c'est le cri de révolte qui vient du coeur, les regrets avec lesquels il faut vivre, mais c'est aussi l'apaisement et le pardon d'un homme sensible, écorché vif, à qui la vie n'a pas toujours fait de cadeaux. Ouvrir ce roman c'est pénétrer dans la dimension "Bohringer", c'est pénétrer dans les tréfonds de l'âme d'un homme dont la prose magnifique, lunaire, crue, apporte une dimension onirique et mémorielle très intense à l'ensemble de ce récit qui m'a bien souvent laissée dans un état de pure béatitude, émue, admirative de l'écrivain mais aussi de l'homme qu'il est, bien au-delà de l'acteur.

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