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Critique de Floortje


Quoi de mieux que de se plonger dans la biographie d'un peintre avant de visiter l'exposition qui lui est consacré ?

Dépassant un premier mouvement d'arrêt devant la couverture particulièrement laide, je me suis lancée dans la lecture de cette biographie de ce peintre animalier superstar du XIXème siècle, Rosa Bonheur.

Le bandeau (d'un vert de mare radioactive) proclamait « l'incroyable destin d'une artiste-peintre libre et féministe » …. Une récupération anachronique ?

En effet, cette réédition étant due à une experte en sexisme - Natacha Henry – et non à un expert en arts, je redoutais la récupération féministe d'une artiste d'il y a deux siècles. C'est d'ailleurs l'argument de vente principal.

C'est donc avec un regard circonspect que j'ai commencé ce livre. Celui-ci se compose de deux parties, inégales :
La première raconte les circonstances par lesquelles Anna Klumpke, une jeune artiste-peintre américaine en est venue à tout quitter pour cohabiter avec la vieille Rosa Bonheur. Cette première partie est écrite par l'Américaine seule.

La seconde partie, d'un style tout à fait différent, ne semble pas écrit par la même personne. Mais cela fait partie du pacte : « Nous les (les notes prises par A.K) arrangerons et nous les relirons ensemble. »

L'introduction jette un éclairage troublant sur une Rosa Bonheur égoïste et une manipulatrice face à une Anna Klumpke naïve et indécise : chantage affectif de lui consacrer sa vie, « comme celui de Méphistopholès lorsqu'il demande à Faust de lui abandonner son âme ».

Cette noirceur d'âme se voit aussi dans la jalousie que l'artiste avoue avoir éprouvé au regard de Tony Robert-Fleury, grand peintre de l'époque qui donna à Anna Klumpke la chance d'étudier avec lui au même moment où Rosa Bonheur lui demande de mettre sa carrière en sourdine pour devenir une sorte de dame de compagnie. Naturellement, Anna Klumpke hésite et Rosa Bonheur lâche un ultimatum inique : « Si vous me quittez, je n'aurai pas longtemps à vivre. » !

Il faut quand même se rendre compte que Rosa Bonheur ne demande rien de moins à la jeune artiste américaine que de ne jamais plus retourner de son vivant dans son pays, de quitter sa famille, de renoncer à sa propre carrière artistique ainsi qu'au mariage qu'un jeune homme lui avait proposée avant son départ pour l'Europe !

Rosa Bonheur, pour parvenir à ses fins n'hésite pas à mentir à l'entourage de la jeune femme qui s'inquiètent pour elle : «Tu es trop libre pour accepter les fonctions de demoiselle de compagnie. ».
Mais la jeune femme est sous l'emprise de son admiration pour la vieille dame, elle n'a aucune liberté, son aînée mettant dans sa bouche les arguments qu'elle doit répéter à sa mère : « Pénétrez-vous des arguments que je lui donne afin de vous défendre et de la convaincre. »

Mais pourquoi donc Rosa Bonheur voulait-elle s'attacher à demeure Anna Klumpke ?

En premier lieu, pour écrire ses mémoires. Bien sûre, il y avait déjà a eu des biographies publiées mais rappelons-nous que Rosa Bonheur était un peintre vénéré de son vivant même et qu'elle avait un sens du self-marketing très développé.

Mais elle veut que ce soit une femme qui écrive ses « vraies » mémoires. Car ce n'est qu'à une femme qu'elle pourrait se confier à propos de Nathalie Micas, son amie d'enfance avec qui elle vivait jusqu'à la mort prématurée de celle-ci. Et surtout sur sa mère (enterrée dans une fosse commune quand elle décéda à une période de la vie marquée par la misère).

Elle voit en Anna un successeur à son amie Nathalie Micas, décédée sans avoir achevé le travail car dit-elle «Si je vous ai choisie, c'est parce que vous êtes une femme et que je vous parle à coeur ouvert ». Bien entendu, Anna n'a aucune liberté dans l'écriture de ces mémoires, elle n'est qu'un outil.

L'aspect le plus touchant de cette biographie, est de découvrir cette vieille femme qui souffre toujours de l'absence de l'amour maternel. On trouve de brèves allusions au remariage de son père. Elle trouve qu'une marâtre est bien du travail pour des enfants qui viennent de perdre leur mère (c'est elle qui, pré-adolescente, avait du prendre la place de sa marâtre dans la tenue du foyer) et qu'un père bien avisé devrait rechercher la paix pour sa famille, du moins dans un premier temps.

Pour lui convaincre Anna Klumpke de sacrifier sa carrière, sa famille, son avenir à une obscure vie de dame de compagnie-secrétaire, elle lui fait miroiter une vie de sororité tel les frères Riepenhausen, vivant et peignant ensemble.

Par ailleurs on devine – plus que ça n'est dit clairement – que Rosa Bonheur veut qu'Anna Klumpke prenne la place laissée vacante par la mort de Nathalie Micas. Et là se pose – pour nous, vivant au XXIème siècle, la question que tout le monde se pose : Rosa Bonheur était-elle lesbienne ?
Alors, oui, elle s'habillait en homme comme George Sand. Mais pas pour choquer mais, comme elle l'explique, par commodité, dans les abattoirs ou dans son atelier. Et au tout début du livre, elle dit clairement que quand on vit seule, cela peut éviter des ennuies. D'ailleurs, quand Rosa Bonheur avait de la visite, elle se dépêchait d'aller se changer. Enfin, elle spécifia bien à Anna Klumpke qui entreprend son portrait que « c'est dans mon costume de femme que je veux que mon image soit transmise à la postérité. 

Oui, mais alors, cette vie en commun ? Tout d'abord, il faut dire que Rosa Bonheur souhaitait aussi pour cette raison avoir une biographie femme car elle avait tout à fait conscience de « la mauvaise opinion que le monde a en général, des femmes qui vivent ensemble » et souhaitait que « la postérité (la) juge avec impartialité. »
Rosa Bonheur a d'abord vécu avec Nathalie Micas, son amie d'enfance. Mais celle-ci ne semble pas être lesbienne. Rosa Bonheur rapporte (un peu méprisante?) en effet cet épisode de son amie se préparant à la visite du médecin : «Nathalie peigne sa queue. Elle se fait belle pour plaire au docteur : elle a un faible pour cette sorte de mammifère. » 

A la mort de Nathalie Micas, Rosa Bonheur a fait une dépression. Quand elle voit Anna Klumpke surgir, elle veut se l'attacher à cause aussi de la grande ressemblance entre sa biographe et sa mère  : « Dans aucune de mes biographies, on ne parle du culte que j'ai voué à la mémoire de ma pauvre mère, et c'est à mes yeux, la plus grande des imperfections. »

Alors, oui, Anna Klumpke vit dans la maison de Rosa Bonheur. Celle-ci lui avait d'ailleurs vendu le projet comme une « communauté d'artistes » comme les hommes le faisaient. La mère d'Anna Klumpke la voit plutôt comme une « dame de compagnie ». Mais, en aucune façon, ni pour Nathalie Micas, ni pour Anna Klumpke, il n'est question de sentiments, si ce n'est de l'amitié, même si elle est exprimée avec beaucoup plus de force que de nos jours.

Anna Klumpke voit plutôt cette relation comme une relation mère-fille mais où la mère serait une quasi-divinité. Elle dit : « Jusqu'à présent, je n'osais pas vous montrer mes sentiments. Ah ! Si vous pouviez comprendre l'admiration que j'ai eu toujours pour vous. C'était un vrai culte ! Et pensez que me voici devenue votre fille d'adoption! »

Ce qu'on peut tirer de cette biographie – à part la connaissance non seulement de la vie de Rosa Bonheur mais aussi de tout l'arrière-plan artistique de l'époque – est qu'il ne faut pas voir les choses d'une époque avec nos yeux de la nôtre.

Un autre exemple qui concerne cette fois-ci l'amour de Rosa Bonheur pour les animaux. Il s'exprime dans des formes qui nous choquent au XXIème siècle, comme faire empailler la tête de sa première jument, Margot, ou faire de la peau de la lionne Fathma, un tapis.
Par ailleurs, cet amour des bêtes est parfois teinté de métempsychose. D'ailleurs, si Rosa Bonheur est catholique, c'est d'un catholicisme très moderne où il vaut mieux faire le bien autour de soi plutôt que de marmonner des prières à l'église. Et où Dieu se rencontre dans la beauté du paysage.

Pour finir, quel niveau de véridicité attribuer à cette biographie ? Par exemple, page 392, Rosa Bonheur déclare : « Laver mes pinceaux a toujours été pour moi une tâche importante à la fin de chaque journée, et jamais je n'ai consenti à charger mes domestiques de ce soin. J'y attachais tant d'importance que je ne voulais même pas que Nathalie m'aidât. (…) Lorsque je suis occupée à faire la toilette de mes pinceaux, je déteste d'être interrompue par qui que ce soit. » Mais seulement quatre pages plus loin, Anna Klumpke relate : « C'était le 20 septembre, aux approches de cinq heures et demi. le jour commençait à tomber et je lavais les pinceaux de Rosa Bonheur dans le cabinet de toilette. »
Je vous laisse juge...
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