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Critique de Kirzy


« Le jour se leva sur un navire naufragé, planté sur la cime des arbres, au milieu d'une forêt. C'était un trois-mâts de dix-huit canons, à voiles carrées, dont la poupe s'était enfoncée dans un manguier à plusieurs mètres de hauteur. A tribord, des fruits pendaient entre les cordages. A bâbord, d'épaisses broussailles recouvraient la coque. »

Ce sont les premières phrase, fixant l' image extraordinaire de cette frégate de flibustier perché en pleine mangrove dans les Caraïbes, celle du célèbre pirate britannique, Henry Morgan, avec un trésor à bord. Miguel Bonnefoy convoque l'imaginaire collectif de la piraterie en le croisant avec celui de la forêt, magnifique collusion terre-mer qui surprend et charme d'emblée.

Le premier chapitre introduit de façon très astucieuse la suite du récit. le deuxième chapitre puis les suivants propulsent trois siècles plus tard, dans le village où le bateau pirate est tombé de sa cime, enfouissant son trésor. Les images de ce bateau perché, du vieux pirate agonisant, perdureront dans tous les chapitres, jamais le lecteur n'oublie qu'il y a un trésor, là quelque part, à portée de la famille de planteurs, les Otero qui vit dans ce village.

Derrière la maitrise de la narration, on devine que Miguel Bonnefoy vient de l'univers de la nouvelle. Chaque chapitre est construit comme une nouvelle, avec une chute qui permet d'introduire le chapitre suivant, créant une structure narrative en petites boucles qui se déploient en seulement deux cent pages sur plusieurs décennies. En quelques phrases, il sait dessiner un univers atemporel et universel que l'on n'a plus envie de quitter.

Et puis il y a ces deux personnages féminins absolument superbes : Serena Otero et sa fille Eva Fuego. Serena, on la découvre adolescente, néo-Emma Bovary qui refuse de s'effacer derrière ses ternes parents, qui rêve à d'autres horizons, suffisamment forte pour faire passer des messages à la TSF en espérant que le monde lui réponde et s'ouvre à elle : «  Maria Dolores annonce qu'elle a noyé son coeur dans un tonneau de rhum. Récompense à qui viendra le boire » y dit-elle comme une bouteille à la mer.

Sa fille, Eva Fuego, fait irruption dans la deuxième moitié, apparition quasi magique d'un bébé sauvé des flammes. de sa flamboyante naissance, elle semble porter en elle une malédiction biblique ( référence métaphorique à la découverte destructrice du pétrole au Vénézuela d'où est originaire l'auteur ), enfant sauvage devenant une autocrate redoutée, prospère, vivant dans la démesure.

L'écriture pleine de vie et de sensualité brille dans la description des personnages, entre métaphores subtiles et licences poétiques réussies. Elle parvient à créer des images aussi fortes que celle du bateau pirate échoué en pleine forêt, comme celle de la petite vieille, ancienne propriétaire de la propriété des Otero, qui revient tous les 1er novembre honorer la mémoire de son mari décédée dans une pièce condamnée dont elle a seule l'accès, arrivant ainsi avec un seau vide à remplir de larmes.

Ce roman a un charme fou, entre légende très incarnée et Conte philosophique sur le sens à donner à sa vie, en quête d'un trésor dont il revient à chacun de trouver la définition. Emplie de réalisme magique, il a du souffle et du coeur, le talent de conteur de Miguel Bonnefoy laissant l'imaginaire du lecteur courir au-delà des mots.
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