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Critique de Levant


Levant
25 septembre 2018
"Je crois pas qu'un roman ait vraiment besoin d'un sujet." Ce n'est pas moi qui le dis. C'est Camille Bordas qui le met dans la bouche de Simone, l'une des trois filles de cette "portée de misanthropes intolérants, toujours le nez dans les bouquins", ainsi que cette mère de six enfants qualifie sa propre famille.

Une famille pour le moins atypique, car s'il arrive en effet d'y avoir un enfant surdoué dans une famille c'est une aubaine, ou une malédiction, mais cinq cela relève de la mise à l'épreuve. Et le sixième me direz-vous ? le sixième c'est Isidore. Ni surdoué ni laissé pour compte question QI, mais qui ne s'en laisse pas conter par ses aînés pour autant. En dépit de son indolence apparente sur son canapé, Dory comme l'appellent ses frères et soeurs, a de la répartie.

La normalité étant affaire de convention, de sens commun ou de majorité, Isidore est donc anormal dans cette famille. Il se cantonne en effet dans la bonne moyenne de ses congénères qui peuplent les bancs de son collège, depuis lequel il ambitionne de devenir professeur d'allemand. Pourquoi ? Il ne sait pas trop. Sans doute parce que c'est la première chose qui lui est venue à l'esprit pour couper court au harcèlement de ceux qui l'interrogeaient sur son avenir. Sans doute aussi parce que son père dominait cette langue, comme tant d'autres. Peut-être encore pour lui rendre hommage à ce père qui, à force d'être absent, pris par son travail, a fini par être absent définitivement. Mort prématurément, sans que cela attriste outre mesure femme et enfants. Exit le géniteur, son rôle s'est cantonné à la mise au monde de cette fratrie improbable.

Au sein de cette progéniture de thésards consacrés ou en voie de l'être, Isidore le narrateur de ce roman au style mâche-pas-ses-mots et au rythme rentre-dedans, cherche sa voie. On le comprend volontiers. La solitude l'étreint entre une mère qui gère ce bouillon de culture comme elle peut et frères et soeurs qui tutoient les sommets en matière de QI, dissertent plus qu'ils ne parlent et fréquentent les chaires doctorales en épatant la galerie dans la soutenance de leurs thèses.

Heureusement qu'il y a le collège pour concourir entre alter ego. Mais là encore tout n'est pas rose. Rivalités de clans, expérience sexuelle, mal-être de l'adolescence, profs démotivés, il faut trouver sa place. Il faut savoir détecter à temps la tendance suicidaire d'une camarade introvertie. Dans un monde matérialiste, un collège par trop terrestre et un milieu familial d'extra-terrestres, Isidore est bercé de valses hésitations pour faire son apprentissage de la vie en société. Il y a Isidore et les autres comme l'annonce si bien le titre de cet ouvrage.
Les autres sont ce qu'ils sont dans le grand concasseur psychologique qu'est notre style de vie moderne. Il faut faire avec. Isidore sera peut-être quant à lui la touche d'humanité qui manque au tableau, dépositaire des sentiments qui font défaut aux stars de l'intelligentsia. le conciliateur des divergences d'opinion, le modérateur des digressions hasardeuses de haute volée, quand ce n'est pas le chaînon qui réconcilie les générations. C'est peut-être bien là qu'est le sujet de ce roman qui n'en veut pas… de sujet.

Isidore au QI normal mais à la sensibilité surdouée, à douze ans. Pas facile pour une auteure de ré endosser les habits de sa jeunesse. Car Isidore, le benjamin de la famille tient de beaux raisonnements qui feraient aisément rehausser son niveau de maturité de deux décennies. Juste l'âge de son auteure. A moins qu'il n'ait été contaminé par la fratrie et n'ait élevé le débat à son corps défendant, celui de son auteure, qui se serait laissé emporter par sa capacité à décoder les caractères et les comportements. Pas facile de gommer l'acquis de l'éducation, de l'instruction, de l'expérience pour retrouver les mots d'enfant issus de raisonnements d'enfant. C'est peut-être là que le bât blesse dans ce roman. Mais c'est de bonne tenue quand même.
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