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Critique de Carolina78


« - J'y m'en vas vous dire : le bar-hôtel de la plage de Caplan ? Y'est brûlé, mam'zelle !
Il a ouvert le lave-vaisselle trop tôt et un violent nuage de vapeur en est sorti. Il l'a refermé d'un coup et s'est tourné vers moi. Il a tendu le cou par-dessus le comptoir. Il voulait mettre son oeil dans la lettre de Key West que j'avais réouverte, question de vérifier l'information, mais je me suis reculée.
[…]
Tout le monde est au courant. Je comprends pas que vous ayez pas vu ça, ça a fait la première page de « L'écho de la baie » ! Y'avait même un reportage spécial avec des pages en couleurs ! L'incendie est probablement criminel, qu'y disent, pis les assurances veulent pas payer […] »

Catherine Day, 33 ans, vient de faire dix heures de route pour se retrouver dans ce trou perdu, ce petit port pêche de la Gaspésie, pour se rendre à un rendez-vous fixé par une lettre deux mois plus tôt.

« Il a rouvert le lave-vaisselle qui fulminait encore, en se tenant à bonne distance. Il a attrapé un linge carreauté rouge, comme un dompteur de cirque, il s'est mis à fouetter la vapeur. Puis, il a pointé un menton de fierté locale vers une grande maison, juste à l'est du café. Accoudée à la falaise, elle observe la mer d'un oeil tranquille. Une charmante auberge aux mains ouvertes ».
[…]
« - Si vous cherchez quelqu'un d'ici, je peux sûrement vous aider… ».

Catherine hésite : « J'ignorais encore comment parler de cette femme. Elle avait toujours été imprononçable, et voilà que, du jour ou lendemain, je devais dire son nom d'une manière détachée. Fallait-il le tourner sept fois autour de ma langue, le rouler dans ma bouche comme un vin rare ou le concasser avec les molaires, pour l'attendrir ? ».
[…]
- Marie Garant… Vous la connaissez ?
Il a reculé d'un pas. Son visage allumé s'est éteint comme la flamme d'une chandelle soufflée brusquement. Il m'a détaillée, attentif et suspicieux.
- C'est une amie à vous ?
- Non. A vrai dire, je la connais pas…
Il a repris le verre, qu'il s'est mis à frotter de bon coeur.
- Ouf ! Ben, j'ai eu peur ! Parce que j'm'en vas vous dire que Marie Garant, c'est pas une femme qu'on aime, surtout qu'à votre place, comme touriste, j'en parlerais pas trop trop parce que ça vous donnera pas des amis vite vite… ». (p.22-3)

Nous sommes dans le café de Renaud Boissonneau, situé dans l'ancien presbytère. Bientôt, nous allons faire connaissance des autres personnages avec leurs signes distinctifs, tics de langage et traits grossiers.

Renaud Boissoneau, il est vêtu d'un tablier neuf avec l'inscription AIDE-CUISINIER en lettres brodées et coiffé d'un « petit chapeau idiot ». Il ne cesse de répéter : « Je m'en vas vous dire rien qu'une affaire ».

Voici le premier marin qui arrive, c'est Vital Bujold surnommé « Saint-Ciboire de Câlisse », en raison de ce juron qu'il a toujours au bout de la langue. Il est accompagné de son aide-pêcheur, Victor Ferlatte, dont le discours est facilement reconnaissable parce qu'il bégaie.

C'est le tour de Jérémie, le grand Amérindien.

Le lendemain, nous allons rencontrer un personnage clé, le marin Cyrille Bernard, celui qui ponctue ses phrases par « hiiii », et aussi, le curé, toujours bourré, qui a deux paroisses, l'église et le bistro.

C'est plus tard qu'intervient, Joaquin Moralès, l'enquêteur.

Je ne vais pas vous présenter tout le monde ! Je vous donne juste un échantillon des personnages hauts en couleur qui habitent Nous étions le sel de la mer.

Tout le monde s'interroge, sur ce qu'est venue faire cette belle touriste en Gaspésie.

« - Je ne suis pas sûre de m'intéresser aux activités touristiques, mais j'ai peur de trouver le temps long…
Les hommes ont ri, comme si j'avais manqué une marche d'escalier avec des talons hauts.
-Saint-Ciboire de Câlisse !... Y'a juste ça, en Gaspésie, du temps long ! » (p.30)

Le temps est particulier. Il se mesure en nombre de vagues. Les saisons se nomment en fonction de la pêche : « le retour du tourteau » …

« Long » mais pas calme.

Catherine se sent tout de suite bien avec ces marins et accepte de partir à la pêche avec eux, mais le destin en décidera autrement. Ce matin même, le cadavre de Marie Garant est ramené dans les filets de Vital Bujold.

La mort de Marie Garant est-ce un accident ou un crime ?
Quel est le lien entre Marie Garant et Catherine ?
Pourquoi Marie Garant c'est la loi de l'omerta ?
Pourquoi Catherine a démissionné de son travail pour venir en Gaspésie ?
Que recherche-t-elle ?

Nous allons plonger dans les secrets des uns et des autres, et de rebondissement en rebondissement, les pièces du puzzle vont se mettre en place.

Le fil rouge c'est là mère et la mer, mais j'en ai trop dit…

Le récit est majoritairement en « je » (Catherine), mais intercale des passages en italique et des moments où le narrateur est extérieur, ce qui nous permet d'avoir accès aux pensées des autres personnages, et aussi d'avoir des informations sur leurs histoires. L'intrigue se passe en 2007 mais il y a des flash-backs en 1974. C'est rondement mené.

Roxane Bouchard réussit magistralement à rendre son roman vivant. Je me suis très vite faite aux tournures de langage québécoises, avec ces expressions pittoresques comme « ça dort en cuillère », « on s'en va jaser », « passer le moulinet à gauche » … J'ai vraiment eu l'impression d'être en Gaspésie, aux côtés de Catherine. C'est un langage savoureux et une belle écriture.

À noter les magnifiques passages sur la mer (à découvrir en citations).

Il m'a mis du baume dans le coeur, après quelques lectures difficiles comme « Triste Tigre » et « L'enragé ».

Je remercie chaleureusement ma nouvelle Babelamie Chrystèle, @hordeducontrevent, à qui je dois ce chouette voyage.
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