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Critique de berni_29


Un célèbre copain, qui s'appelle Aristote, me confiait il n'y a pas si longtemps : « Il y a trois sortes d'hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer. »
Et voilà qu'un certain Bouffanges, et néanmoins ami, propose une autre vision de l'humanité, un peu moins maritime certes : il y aurait donc selon lui les vivants, les morts et les non-morts.
Non-morts, c'est un doux euphémisme pour dire zombies, vous l'aurez compris au titre...
Jusqu'à présent je n'ai jamais vu de zombies sauf dans les films fantastiques et aussi en politique. Mais moi je vous parle ici de la vraie vie.
Dans ce récit, tout commence par un fait divers, puis un second, et un troisième qui va corroborer des faits convergents... Des personnes semblent revenir de la mort, frapper à la porte des vivants, de leurs proches... Les événements se traduisent tout d'abord par une forme d'incompréhension du milieu médical... Rapidement, reliés par les journaux locaux, ils prennent un retentissement médiatique sans précédent à l'échelle nationale...
Les premiers symptômes montrent bien que ce ne sont ni des vivants, ni des morts...
Le milieu médical va même les désigner sous le nom, le beau nom grave de thanatorésistants...
Au départ bien sûr, on cherche à minimiser les faits, à tous les échelons où des décisions se prennent, ou ne se prennent pas d'ailleurs...
Le pouvoir politique finit par s'affoler, - il met un peu de temps à réagir comme d'habitude, puis commence à être ébranlé. On appelle cela une crise.
Même l'Église s'en mêle... Il n'y a jamais eu autant de "fidèles" à aller à la messe. C'est un peu comme dans Manon des Sources, lorsque l'eau avait disparu...
Au début, ces zombies m'ont paru innocents, sauf à considérer que suspendre une cardiologue en milieu hospitalier dans l'exercice de ses fonctions, créer une crise politique majeure, soulever le couvercle posé sur le problème du financement public des hôpitaux, sont loin d'être innocents...
Dans les rares films fantastiques que j'ai vus et aussi sur la chaîne de Public Sénat, j'ai eu l'occasion d'observer des zombies... Ils se ressemblent tous dans leurs allures d'avancer...
Il y a souvent des zones d'ombre dans leurs territoires de prédilection, l'endroit d'où ils viennent aussi, des marécages, pour ne pas dire des marigots, ils se reconnaissent aussi à leur manière de se dévorer entre eux, surtout lorsqu'ils sont proches les uns des autres, dans le même clan... Je parle bien sûr des zombies, je dis ça pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté dans mes propos...
Le récit de Bouffanges se lit d'une traite, à la manière dont nous appréhendons aujourd'hui l'information. Des flashs infos courts, des dépêches de l'AFP, des reportages de chaînes locales ou nationales, des conférences de presse, des réunions interministérielles de crise...
À l'Assemblée Nationale on s'invective.
Chacun y va de sa petite musique...
Moi je préfère la petite musique de nuit de Mozart.
Des tombes se soulèvent, des êtres frémissent, s'élèvent, bougent, avancent...
Bientôt ils sont des milliers, on ne sait plus que faire pour les accueillir, les prendre en charge, les concentrer dans des lieux dédiés, les détruire peut-être comme le propose un célèbre parti d'extrême-droite... Au fond, ils étaient morts déjà, qu'est-ce que ça va changer ? argumentent-ils...
Ces lieux dédiés, on les appelle tout d'abord des centres de rétention, mais les chargés de communication des ministères ont trouvé que c'était mieux de parler désormais de centres d'accueil. Cela faisait plus propre sur le papier...
Dans cette bataille politique avec pour toile de fond les élections présidentielles, on oublierait presque que ce sont des pères, des mères, des frères, des enfants dont il s'agit, ce sont les morts ou plutôt les non-morts de ceux qui survivent dans cette société à la dérive, car c'est bien d'une société en déliquescence lâche et immorale dont on parle ici, une société qui s'effondre, une dystopie sociopolitique...
J'ai déterré ce texte entre les vivants et les morts...
Une ironie mordante voire caustique traverse le récit, et à chaque fois je me disais : tiens ça me rappelle quelque chose ! Je cherchais l'évocation d'un récit de fiction lointain qui me parviendrait parmi ces Mémoires d'outre-tombe... En vérité, brusquement le déclic me vint comme une claque : cet univers impitoyable se déroulait sous mes yeux, sous ma fenêtre... Cette société était bien la nôtre dans sa manière de traiter la différence...
La déliquescence du service public. Où commence où s'arrête la question du bien commun. Les intérêts privés quand le bien collectif n'est plus préservé et qui prennent le pas puisque la nature a horreur du vide... Tout était là sous mes yeux ahuris...
Comment ne pas voir ici une triste pantomime de notre société qui part en ... qui part en..., - vous mettrez le mot qui convient et qui vous pend aux lèvres...
C'est un récit court, morcelé au premier abord, construit sur un rythme addictif. Les découpages se couturent très vite en une logique implacable autour d'un fil conducteur tendu vers son dénouement. Un texte prenant, touchant, dérangeant, cruel, qui nous entraîne de gré ou de force devant le miroir que nous renvoie notre société...
Chapeau bas, Bouffanges !

Merci à toi Nicola de m'avoir invité à cette lecture !
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