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Critique de MarianneDesroziers


Si je ne devais garder qu'un seul livre de mes études de sociologie, ce serait celui-là, parce qu'il contient une mine d'informations sur l'exclusion et parce qu'il est facile à lire (ce qui n'est pas toujours le cas avec Bourdieu) et donc acessible à tous les publics pourvu qu'ils soient un peu curieux de la société dans laquelle ils vivent.
La « misère du monde » cesse ici d'être un concept abstrait : elle s'incarne dans des visages, des noms, des parcours de vie. C'est un des grands mérites de cette enquête : on y lit en filigrane des parcours de vie et des événements-pivots qui font basculer des vies (décès, séparation des couples, chômage, maladies graves, accidents du travail, échecs scolaires et professionnels à des moments où on ne peut plus se le permettre). On y ressent surtout la complexité de l'être humain, les contradictions qui le traversent (quand les idéaux politiques anti-racistes se heurtent par exemple aux difficultés de la cohabitation avec des populations ayant une culture très différentes) et la volonté de s'en sortir malgré tout, de ne pas baisser les bras, même quand le sort semble s'acharner. On comprend aussi que l'exclusion c'est souvent le résultat à un moment donné de la conjonction de plusieurs facteurs et qu'une personne exclue doit être prise en compte dans toutes ses dimensions (situation familiale, santé - les jeunes aidés par le JAP quand il était éducateur de rue sont tous porteurs du HIV - etc.).
Comme en contre-point aux témoignages des exclus, des interviews ont été réalisé avec ceux qui sont a priori du bon côté de la barrière, comme des travailleurs sociaux ou un juge d'application des peines : on voit les difficultés de ceux qui ont pour mission d'aider les plus démunis tout en incarnant l'ordre social. Il y a notamment un très beau portrait d'une jeune femme inspecteur de police, que sa famille aurait préféré voir en infirmière ou assistante sociale, très idéaliste et investie dans son métier et qui compatit souvent plus avec l'ancien taulard paumé ou la fille qui est à deux doigts de se prostituer qu'avec les commissaires qu'elle juge corrompus ou englués dans leurs vieilles habitudes et peu concernés par ce qui se passe dans leur commissariat.
En le relisant aujourd'hui, je me rends compte que ce livre est un des chef d'oeuvre de la sociologie française par ce qu'il apporte comme connaissance sur la société et sur ceux auxquels on ne s'intéresse pas en général et sur l'attitude scientifique et déontologique du chercheur en sciences sociales. On peut aussi faire le constat que les problèmes n'ont pas été résolus (on y parlait déjà de « malaise judiciaire » et on pouvait y deviner les émeutes de 2006) et que ce sentiment de fatalité et ce poids de l'échec d'autant plus lourd qu'on s'en attribue la responsabilité est encore présent et peut-être même qu'il s'est diffusé dans les strates de la société jadis épargnées, comme les fonctionnaires. Ce qui a peut-être changé par rapport au début des années 90 où Bourdieu a enquêté c'est qu'il y a de moins en moins de place pour l'utopie alors que beaucoup de gens interviewés dans le livre étaient des militants communistes ou d'anciens maoïstes.
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