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Critique de Nicolas9


Je viens de finir ce livre que j'ai failli ne pas lire... Et, je dois reconnaître qu'il m'a un peu ébranlé dans mon désir de « faire Compostelle » un jour. Voici pourquoi.

Tout d'abord, j'ai eu beaucoup de mal à m'habituer à l'écriture hybride de Jean-Claude Bourlès (JCB). En effet, il alterne récit du chemin, réflexions personnelles et digressions historico-sociologiques qui m'ont semblé assez lassantes au début.

Heureusement, j'ai persévéré et je ne le regrette pas. J'ai appris un tas de choses intéressantes comme, par exemple, le fait qu'à l'origine (IXe siècle), le Camino avait pour objectif de repeupler le nord de l'Espagne avec des chrétiens de toute l'Europe centrale et occidentale. Dans les vastes territoires plus ou moins libérés de la « menace » arabe, il y avait des terrains en jachère, des cathédrales à construire, bref, des places à pourvoir. Beaucoup de pèlerins se sont installés en Espagne où, au gré des opportunités, ils ont (re)fait leur vie.

Mais, ce que j'ai le plus apprécié dans cet ouvrage atypique, c'est le détachement avec lequel l'auteur évoque ses sentiments en chemin. Ainsi, Bourlès n'hésite pas à raconter la délicate cohabitation entre cyclistes et marcheurs : « Les relations toujours un peu houleuses peuvent, dans la seconde, devenir franchement difficiles et font voler assez bas, en cet endroit où on ne les attend guère, injures bras d'honneur et menaces. C'est comme ça, même ici. »

Un autre péril qui guette le pèlerin, c'est le doute : « même si le corps, parfaitement rodé, fonctionne comme une mécanique dispensée de douleurs, crampes et ampoules (...) C'est le psychisme qui, pour je ne sais quelle raison, renâcle. Une voix de contrebande ne cesse de me répéter que tout cela ne sert à rien, que je serais mieux chez moi, etc., etc. La décision de capituler n'a pas besoin de lieu. C'est ce qui rend le chant des sirènes si dangereux. »

Et de poursuivre : « Je suis de nouveau face à moi-même, assiégé de questions auxquelles, tôt ou tard, il me faudra répondre. C'est peut-être ce que l'on appelle un peu légèrement “l'heure de vérité”, ce moment où l'individu se doit de rendre des comptes à lui-même. Exercice d'introspection auquel, en principe, nul n'échappe dans les passages obligés que sont l'âge, la maladie, la mort ou certaines expériences, dont le pèlerinage. Instant de nudité absolue. Il me semble qu'après m'avoir tant appris sur lui-même, le chemin attend que je lui rende des comptes. Que je mette en règle en quelque sorte. »

Or, lorsque les tourments ne sont pas intérieurs, c'est le décor qui s'occupe de déprimer le marcheur : « La sortie de Leon est aussi longue que décevante. Décharges, ruines, cabanes de planches. Où sommes-nous ? Dans les favelas de Rio ? Comme tout cela me devient soudain insupportable ! Autant de mauvais goût, de saleté exhibée, de détritus abandonnés, de carcasses oubliées au hasard d'un terrain vague, dans un pays moderne qui prétend à juste raison jouer un rôle de premier plan en Europe ! Ou je rêve, ou l'on se moque de moi ! »

JCB mentionne aussi quelques rencontres avec des ex-immigrés espagnols dans l'hexagone : « La France, il ne la regrette pas. Comme il ne regrette pas d'y avoir passé vingt-cinq ans. Vivait dans le Nord. Près de Lille. Dit que les Français se montraient injustes avec les travailleurs migrants. Qu'on l'a toujours traité comme un moins que rien, jamais reconnu, régulièrement exploité, même des ouvriers. Quant aux syndicats ! “La France, pays des droits de l'Homme : laissez-moi rigoler ! Un truc d'intellectuel, oui, mais sorti des grands mots, la réalité c'est le coup de pied au cul et les menaces... Vous ne pouvez pas imaginer ce qu'ils m'ont en fait voir vos compatriotes.” »

Au bout du chemin, après des centaines de kilomètres de joie, de peine et de sueur, se présente la ville de Saint-Jacques de Compostelle. Et, contre toute attente, « chez les pèlerins rencontrés, ennui et déception font des ravages (...) C'est comme si la privation soudaine de l'effort et des heures de silence ne pouvait se combler (...) L'extraordinaire impression de vide dans laquelle je me consume se traduit par une agressivité injustifiée envers les autres... »

Alors, juste avant de prendre congé des personnes avec lesquelles il a fait un bout de chemin, c'est l'heure du dernier repas partagé en commun. « Fraternité de l'utopie, l'instant parfois prête à l'envolée lyrique. L'homme est bon, nous sommes tous frères, l'apôtre (Saint-Jacques) est bien là, et les temps changent. Nous levons nos verres, les larmes aux yeux, persuadés de vivre un moment capital de notre existence et c'est sans doute vrai. Mais, le monde n'est pas meilleur, la guerre poursuit son oeuvre, et la misère régente les trois quarts de l'humanité... »

Qui n'a jamais passé de tels moments de pseudo fraternité ? A part des souvenirs qu'en reste-t-il quelques heures plus tard ? Que vont-ils changer dans notre vie et dans nos comportements à venir ?
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