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Critique de Nastasia-B


Encore un coup d'essai, encore un coup de maître. Décidément, Bertolt Brecht peut tout se permettre, tout ce qu'il touche se transforme en or. Il peut tout se permettre car il OSE tout se permettre. Rien ne l'effraie, rien ne le dissuade de porter haut et fort les messages qui sont chers à son coeur. En un mot comme en mille, c'est cela qu'on appelle un auteur. (Et même une hauteur !).

Cette fois-ci, c'est John Gay et son déjà fort osé et fort remarquable Opéra Des Gueux, datant du XVIIIe, que l'ami Brecht décide de remettre à sa sauce. À la fois très fidèle et très différent, c'est un drôle de jeu d'équilibriste, mais même quand il est sur la brecht, Bertolt sait toujours retomber sur ses pieds.

John Gay avait parodié l'opéra italien très en vogue en son temps en Angleterre et créé un anti-opéra, basé sur des airs très populaires et dont les héros étaient des malfrats. Occasion pour lui de dénoncer beaucoup de travers de la société britannique d'alors.

Bertolt Brecht, qui est toujours friand des critiques sociales, — surtout dans l'Allemagne de l'entre-deux guerres, si vous voyez de quoi je veux parler, — saute sur l'aubaine, réutilise même les noms des personnages, Peachum, Machealth et compagnie mais n'oublie pas, au passage, d'y greffer sa propre sensibilité, ses propres revendications sociales et politiques du XXe siècle, qui, somme toute, collent assez bien au projet littéraire et sociétal de John Gay.

Personnellement, les formes chantées m'horripilent et m'agacent particulièrement, donc le côté « comédie musicale » tel qu'en a (trop) produit le cinéma n'est vraiment pas ce que je préfère. Mais il en faut pour tous les goûts. La pièce alterne donc des phases chantées avec des phases jouées classiquement au théâtre, sans toutefois qu'on puisse confondre cela moindrement avec un véritable opéra.

Le scénario est intéressant : Peachum est un cynique voyou qui organise le business de la mendicité dans tout Londres. Nul ne peut s'improviser mendiant sans être un rouage de sa fine machinerie très hautement structurée.

Son trésor, c'est sa fille Polly, celle qu'il voudrait élever loin de la fange des rues dont il fait son gagne-pain. Alors imaginez sa surprise, et surtout son désarroi et sa fureur lorsqu'il apprend que celle-ci souhaite se marier avec Macheath, le plus notable proxénète et bandit de Londres !

Macheath, alias Mackie-le-surineur ou simplement Mac (vu qu'il s'agit du nom initialement donné au XVIIIe siècle par John Gay, peut-être y a-t-il un lien entre le nom « Mac » et les expressions argotiques « maque », « maquereau » et « être maquée » qu'on utilise de nos jours, à creuser…) est un bandit à la Al Capone (voir aussi l'autre pièce de Brecht La Résistible Ascension d'Arturo Ui), très à l'aise, qui graisse la patte à tout le monde pour avoir le privilège de s'exposer au vu et au su de tout le monde.

Donc, sur fond de grande ébullition due au couronnement prochain de la reine d'Angleterre, nous assistons à la lutte de deux éminences du banditisme et de l'exploitation de la misère humaine, à coup de corruption et d'intimidation des forces de police matérialisées par Brown, alias Tiger-Brown, un homme qui sait sortir ses griffes au besoin...

Je vous laisse le soin d'en découvrir davantage si le coeur vous en dit et me contenterai d'ajouter que même si en raison des parties chantées qui m'ennuient quelque peu, je n'ai pas autant goûté cette pièce que d'autres du même auteur, je la considère néanmoins comme une pièce de très haut vol qui vaut le coup d'être découverte et qui reste dans la lignée des grandes dénonciations sociales et politiques de l'auteur. Ceci dit, ce n'est là qu'un avis de quat' sous, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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