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Critique de isasymai


Le samedi 17 Novembre 1832, la jeune esclave Philida part avec son bébé dans le dos déposer une plainte auprès du protecteur des esclaves à l'encontre de son propriétaire Cornelis Brink et de son fils François Gerhard Jacob Brink, communément appelé Frans. Elle accuse celui-ci de lui avoir promis de l'affranchir si elle acceptait de coucher avec lui. Quatre enfants plus tard (dont 2 sont morts), non seulement il n'est plus question d'affranchissement, mais Frans doit épouser une jeune fille de la bonne société du Cap dont la dot devrait renflouer les caisses du domaine et son père Cornelis a l'intention de vendre aux enchères Philida, tricoteuse hors pair, et ses enfants avant l'arrivée de la nouvelle Madame Brink.
Le protecteur après avoir consigné la plainte de l'esclave, la fait mettre en prison en attendant la version de Frans. Evidemment la version de Frans ne sera pas tout à fait celle de Philida.......Dans un premier temps il va prétendre que ses enfants ne sont pas les siens en l'accusant d'avoir couché avec d'autres hommes pour finalement reconnaître que peut être un jour............et prononcer cette phrase sibylline : tout ce que dit cette meid (terme afrikans péjoratif pour désigner une femme noire ou de couleur) est aussi vrai que faux. Quand le protecteur lui demande de préciser ses dires, Frans explique que Philida dit vrai, mais qu'en aucun cas sa parole d'esclave ne peut avoir autant de valeur que celle d'un blanc, à fortiori s'il s'agit du fils du propriétaire de celle-ci, donc ce qu'elle dit ne peut être la vérité. le protecteur voudrait bien s'en tenir là et faire emprisonner Philida, mais celle-ci le menace d'aller jusqu'en Angleterre qui a aboli l'esclavage pour faire reconnaitre ses droits. Pour avoir la paix le protecteur la laisse partir et Philida est contrainte de retourner au domaine des Brink sans avoir rien obtenu. le père de Frans préfèrerait la voir morte, mais l'intervention de Philida l'en empêche et il ne lui reste plus qu'à la vendre le plus loin possible du domaine. Son nouveau maître se montrera plus humain et le 01 Décembre 1834 elle sera affranchie comme tous les esclaves. Commencera alors pour elle une vie de femme enfin libre de son corps avec aux pieds des chaussures qui lui permettront d'aller et venir comme tous les gens libres.
Pour écrire ce roman, André Brink s'est inspiré d'un fait réel : Frans était le frère de l'un de ses ancêtres. Cependant on pourrait dire de ce roman ce que dit Frans au protecteur des esclaves : il est vrai et il n'est pas vrai. Tout ce qui concerne Philida tant qu'elle est sur le domaine des Brink est basé sur les solides recherches d'une historienne du domaine où tout était consigné, du prix des esclaves à celui d'une petite cuillère. Par contre ce qu'il advint d'elle une fois qu'elle a été vendue relève de l'imagination de l'auteur.
Ce roman parle d'une esclave rebelle mais aussi d'un amour impossible entre maître et esclave. Frans n'oublie pas Philida, la mère de ses enfants, celle qui, s'il le pouvait serait son épouse "de coeur", et pour laquelle à plus de vingt ans il a tenu tête à son père pour la première fois.
Le style employé est un peu déroutant au début, parce qu'il est écrit dans la langue parlée de l'époque tant celle des maîtres que celle des esclaves, et beaucoup de termes africaners n'ont pas été traduits (il y a un glossaire en fin de livre) ce qui rend le texte d'autant plus vivant et n'empêche pas après un temps d'adaptation de deviner le sens des mots sans en connaître la signification exacte.
Chacun des personnages auquel André Brink donne la parole exprime à sa façon son amour pour ce pays, même s'ils n'en n'ont ni la même perception ni le même vécu.Certains passages sont dramatiques, mais d'autres sont réellement poétiques voire oniriques, notamment ceux où s'expriment l'imaginaire et les croyances dont les esclaves ne pouvaient pas parler devant leurs maîtres.
J'ai beaucoup aimé ce roman un peu long dans sa deuxième partie. Il retrace la vie d'une femme libre dans sa tête alors que son corps ne l'est pas. Philida sait très bien que l'émancipation ce n'est pas la liberté, mais ce dont elle ne veut plus c'est que chacun puisse disposer de son corps comme il l'entend. Sujet encore actuel qu'il s'agisse des femmes, des enfants ou des migrants entre autre.
André Brink dont le nom signifie paix en néerlandais et afrikaans, est né en 1939 d'un père magistrat et d'une mère institutrice, eux mêmes descendants de colons boers installés depuis plus de trois siècles dans l'état libre d'Orange. En 1959 après une double maîtrise en Afrikaans et en Anglais il vient étudier à la Sorbonne et découvre que des étudiants noirs y côtoient des étudiants blancs, et c'est là qu'il va prendre conscience de "l'abomination" de l'apartheid. Il traduit Camus en Afrikaans et en 1968 il fait le choix de revenir en Afrique du Sud où il deviendra l'un des plus farouche opposant de l'apartheid, accompagnant le combat de Nelson Mandela. Il est mort en Février 2015 et Philida est son dernier roman.
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