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Critique de JLBlecteur


Stèle est pris qui croyait prendre !

Peut-on déboulonner une statue funéraire surplombant une centenaire sépulture dans un cimetière parisien sous prétexte qu'elle est aujourd'hui réclamée par des héritiers, essentiellement pour être l'oeuvre d'un artiste mondialement reconnu ?

Tel est l'argument de la matinale requête faite à Camille, avocate réputée (au caractère repoussant bien trempé), par un voisin responsable des cimetières de la capitale donc des quarante-deux mille tombes de celui de Montparnasse.

Cet argument permettra de plonger dans l'histoire de la jeune femme inhumée sous cet oeuvre d'art réalisée par Constantin Brancusi, histoire cependant fictive et romanesque comme nous le précise l'introduction de ce roman même si la sculpture, la sépulture et le bras de fer entre l'état et les héritiers sont réels (un bras de fer pour une sculpture en pierre, quel assemblage de mauvais goût !)

Plongeon dans le temps et immersion dans le paris inondé par la grande crue de 1910 pour faire la connaissance de Tania qui se dévoile à travers les pages calligraphiées de son cahier intime qu'elle entretient au quotidien, confesseur de papier et véritable ami unique de cette jeune exilée russe que loge une tante venimeuse étouffée par les convenances et les traditions (en deux mots : une vieille bique).

 Tania donc, petite nièce de Tolstoï, bannit ces conventions étriquées et, comme d'autres un Ricard, se promet le bonheur sinon rien ! Pas de compromis, pas de compromission pour celle (comme Franck) qui a du quitter sa Russie natale pour sympathiser avec les nouvelles idées révolutionnaires honnies par son aristocratique ascendance.

Si, par moments, la lecture indélicate de ce carnet intime qui n'était pas prévu être parcouru par nos yeux à l'origine fait penser au guide du routard tant l'exercice de description du vieux Paris est appuyé (et prend des airs de «bien que femme, regardez comme je m'y entends bien pour lire un plan»), il nous fait quand même étroitement pénétrer la psyché de notre jeune déracinée que les folles aventures parisiennes mèneront au Montparnasse à tombeau ouvert (facile, je le concède).

Par le truchement (je gagnais cent points si je plaçais ce mot) de ses plumeux épanchements nocturnes, nous suivrons son itinéraire d'enfant gâtée (très bon Lelouch) en rupture familiale qui, au froufrous à dentelles de soie sauvage, préférera l'austérité de bure des anarchistes et la roture des grisettes parisienne puis la bohème intellectuelle du Paris artistique du siècle naissant (je vous parle d'un temps…) ou apparaîtront Matisse, Apollinaire, Modigliani, Man Ray, Erik Satie ou le douanier Rousseau.

Bien sûr, alternant les époques comme les chapitres, nous ferons également plus ample connaissance avec l'avocate, Camille (Vénus, de son vrai prénom, ( il y a de ces parents, je vous jure!!!)), qui finira par s'intéresser à la Tania de 1910 pour combler un ‘petit vide' dans sa vie si bien organisée de solitaire travailleuse compulsive au sein d'un prestigieux cabinet international installé à Paris.

La coincée du droit finira par mettre un doigt hésitant dans l'engrenage constitué par l'histoire du monument funéraire avant de s'émouvoir pour la jeune russe au court destin tragique, évidemment (sinon, il n'y aurait pas de bouquin) ! L'engrenage se fera poupées russes, tout nouvel élément en masquant le précédent.

Ses recherches nous permettront de mieux appréhender Brancusi et son oeuvre, de le situer dans le milieu artistique d'alors à la faveur maigre (au départ) des pages internet consultées pour ingérer la généreuse genèse de l'original et génial sépulcre.

Mais c'est surtout son implication active (voire bourrine) dans le ‘sauvetage' du baiser qui m'a le plus plu par son côté thriller administratif (oui, c'est deux mots peuvent se juxtaposer, je vous jure (ne jurez pas Marie-Thérèse)).
Une implication survoltée emmenant le récit dans un élan soudain que la seule lecture du timoré  journal intime ne pouvait pas avoir, risquant même de le noyer dans une mièvrerie crue (on est en pleine inondation, je vous le rappelle).
Alors cet élan devient le média de la passion que Camille va développer pour l'artiste au départ, Brancusi devenant ensuite une métaphore, le bras armé de l'art en général qui donne sens à une vie jusque-là si terne (jeu de mot involontaire) mais qui va devenir baroque (et non barrique).
La morose Camille va se révéler, se réveiller et sortir de la coquille de sa fade banalité comme jadis, Vénus sortit des eaux.

Bon ! À chaque fois qu'un roman mélange fiction et réalité comme un mélangeur chromé Jacob Delafon l'eau froide et l'eau chaude, je reste tiède face à la lecture même bouillonnante, m'interrogeant sur la pertinence d'un tel processus.

Ne vaut-il pas mieux faire soit un travail de recherche approfondi et livrer une réelle biographie quitte à lui donner un habillage romanesque soit s'inspirer du fait réel, certes, mais pour échafauder un roman total faisant fi des protagonistes initiaux au profit de personnages totalement fictifs.

Je reste troublé par cette frontière qui ne se dessine pas, par ce fil du rasoir qui ne tranche pas entre réel et imaginé, frustré de ne savoir démêler l'intrigue romanesque de sa vérité historique. Je suis là brosse à cheveux empêtrée dans la noueuse chevelure de l'ingénue protagoniste que je devine longue et blonde comme la Nathalie de Bécaud (mais la je m'égare (de l'est)).

Un kir littéraire donc au dosage établi, une dose de vrai pour trois doses d'inventé à consommer sur le zinc des toits du baron Hausmann. (Non merci, je ne prendrai pas de cacahuètes pour ne pas prendre d'embonpoint !).
Un cocktail agréable a consommer qui a l'avantage de ne pas donner la gueule de bois (pour une statue en pierre, ce serait un comble), produit dans un style plutôt riche et assez captivant recelant quelques jolies tournures qui font oublier les quelques défauts cités plus haut (le côté GPS).

Maintenant, que dire de cette fin ouverte quelque peu expédiée, des écarts avec la réalité qui n'apportent rien au récit (la mort de Tania, la nature des héritiers, l'ambiguïté de sa relation avec le médecin...) ou du choix de la photo de couverture, belle effectivement mais racoleuse en définitive parce que  sans lien aucun avec les protagonistes et laissant imaginer un contenu plus érotique associée au titre?

Un grand huit émotionnel que ce roman aux allures de parc d'attractions finalement, réunissant plusieurs activités récréatives en un même  point unique mais de façon artificielle, fait de stuc et de toc alors que le sujet offrait tant de possibilités !

Vous rêviez d'une Hispano-Suiza, vous aurez une Chatenet sans permis !

Aussi, pour malgré tout finir en beauté et vous vissez une jolie ritournelle en tête pour le reste de la journée, je conclurai ce commentaire par un Souchon, de bon cru (comme celle de la Seine en 1910):
Je chante un baiser
Je chante un baiser osé
Sur mes lèvres déposé
Par une inconnue que j'ai croisé
Je chante un baiser
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