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Critique de tilly


tilly
10 septembre 2015
Alain Bron est un auteur qui ne lasse pas ses lecteurs en écrivant toujours le même livre.
Rien qu'avec les deux derniers titres, on est passé du vingt-sixième étage d'un immeuble d'affaires de La Défense, à dix mètres en-dessous des jardins du Palais Royal, entre égouts, métro et caves. De haut en bas. Vous me direz qu'on ne s'éloigne pas beaucoup de Notre-Dame à vol d'oiseau ? Faux : Milan et Rome dans les années 70-80, dites années de plomb, sont également au cœur de ce dernier roman. “ Le monde d'en-bas ”, c'est aussi une référence à la doctrine révolutionnaire communiste, à l'idéologie des brigadistes rouges italiens engagés contre le système capitaliste, le monde d'en-haut, le monde des possédants et du pouvoir.

Le premier personnage que l'on rencontre est un drôle de paroissien : Ettore Bisulli, un italien d'une soixantaine d'années, très à l'aise dans le dédale du sous-sol parisien. Il s'est aménagé une planque sûre sinon confortable. Un terrier où il écrit ses mémoires dans l'obscurité et le silence. De quoi se cache-t-il ? Qui sont ceux qui s'efforcent de le dénicher ? La police qui enquête sur la mort d'un autre italien tombé sous une rame de la ligne 1 ? Des mafiosi spoliés ? L'éditeur intrigué qui reçoit un à un les chapitres rédigés par le reclus ? D'anciens activistes dont il partage le secret ? Pistes et fausses pistes garanties jusqu'à la dernière page.

Alain Bron est toujours très généreux avec ses lecteurs : de nombreux personnages aux caractères fouillés et contrastés, des surprises scénaristiques (les blogeurs littéraires disent twists), une documentation historique et politique précise mais jamais didactique, un travail qu'on imagine considérable sur les lieux du roman (mon conseil si comme moi vous n'avez jamais visité les égouts parisiens, ou les coulisses du métropolitain : voir les photos lien de repérage publiées par l'auteur sur son blog !).

Alain Bron est aussi très généreux avec qui souhaite parler de son livre : les pages 226 à 229 me paraissent être (par la voix du personnage de l'éditeur brindezingue, mon préféré) une bonne profession de foi de l'écrivain et d'intention du roman, alors j'en profite, je cite :

“ Je ne veux pas le genre gnangnan qui raconte ces années de plomb avec des images édulcorées et des histoires d'amour formidables [...], je ne veux pas non plus d'un récit de combattant qui fait frissonner les mémères sous leur couette. [...] Je veux publier un roman. Un vrai. Une fiction qui se nourrit de la réalité historique. Tout le reste n'est que foutaises. [...] Le drame de la société d'aujourd'hui, c'est qu'on apprend rien par le témoignage. C'est le plaisir de lecteur et l'appel à l'imaginaire qui doit primer. Même si le sujet du communisme révolutionnaire m'intéresse au plus haut point. [...] Je veux un livre facile à lire avec une narration fluide, mais riche en pistes politiques. Je veux un jeu de renvois entre différents niveaux de langages, parfois intimistes, parfois plus objectifs. Donc, tu as compris, une lecture pour le plaisir qui touche une population beaucoup plus large que les militants de gauche ou d'extrême gauche. Je veux une écriture légère, avec un certain raffinement, qui occupe un rôle central dans le texte. [...] il n'est pas nécessaire d'insister sur ce qui a eu lieu, mais de montrer la manière dont les protagonistes ont traversé la période. [...] c'est une histoire d'hommes, avec leurs passions et leurs faiblesses. Ce n'est pas un pamphlet ni une confession, mais un témoignage sur les coulisses des actions violentes, sur les rapports personnels entre les protagonistes. C'est une vérité humaine avant d'être politique ou idéologique, mais c'est surtout un roman vrai ! ”

Dans le livre, c'est le personnage de l'éditeur qui s'adresse ainsi à sa petite amie qu'il a chargée de rewriter le tapuscrit d'Ettore... Jeune femme sensuelle et très maligne que l'auteur prénomme Octavia (In Octavo... Octavia... !).

Un peu plus loin, le procédé d'écriture d'Octavia est finement dévoilé :

“ Elle prétendait que la divagation sur internet l'aidait à rédiger [...] et surtout, nourrissait un imaginaire qui pourtant n'était pas en manque. A vrai dire elle y piochait des idées dont elle ne soupçonnait pas l'existence et qui se révélaient de la plus grande importance pour elle. Le résultat de cette sérendipité l'étonnait elle-même. Elle inventait des situations nouvelles, créait des dialogues savoureux, trouvait des métaphores originales. Une folle jubilation la prenait alors et la faisait veiller jusqu'à l'extrême fatigue. Consciente néanmoins de la drogue que constituait la virtualité, elle avait essayé de s'en sevrer. Les conséquences s'avérèrent catastrophiques : non seulement elle s'était morfondue pendant des heures sur le canapé rouge, mais elle se montrait incapable de rédiger quoi que ce soit. Elle avait alors tourné le dos à un quelconque jeûne informatique, et s'était empiffrée d'internet pour venir à bout de la réécriture du récit. ”

Loin de moi l'idée de faire l'amalgame entre l'auteur et ses personnages... quoique...

Je peux me tromper encore, mais j'ai vu dans Le monde d'en-bas un hommage malicieux au néo-polar (roman noir engagé) des années 70 dont Patrick Manchette fut l'un des papes. Avec plus - beaucoup plus - d'humanité et d'humour léger, et moins de bains de sang gratuits, on y retrouve la même dilection pour le monde des marginaux et des exclus, et la peinture des maux et des injustices de la société.

Merci merci aux éditions In Octavo et à Alain Bron pour le plaisir de cette expédition littéraire sous le macadam des centres historiques de Paris et Milan, accompagnée d'une play-list d'ambiance italianissime ! À lire sans modération avec un petit verre de grappa ou d'amaretto à portée de main.


Lien : http://tillybayardrichard.ty..
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