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Critique de Presence


Ce tome fait suite à The secret lives of dead men (épisodes 6 à 10) qu'il faut avoir lu avant. Il faut impérativement avoir commencé par le premier tome pour comprendre l'intrigue et les relations entre les personnages. Il comprend les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2015/2016, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Steve Epting, avec une mise en couleurs réalisée par Elizabeth Breitweiser. Ce tome conclut l'histoire commencée dans le premier tome de manière satisfaisante.

Ce tome commence par 4 pages consacrées à Maximillion Dark, un agent secret américain plus cool que James Bond : il tire à bout portant sur des gardes, il s'enfuit à bord de son coupé, il passe ses vacances sur une plage paradisiaque, il emballe de magnifiques mannequins. Pas de bol : c'est lui que Velvet Templeton a choisi de contacter. Elle lui explique qu'il y a quelque chose de pourri au royaume des espions, et qu'elle recherche toujours le coupable du meurtre de l'agent Jefferson Keller (X-opérateur 14). Elle lui demande de lui récupérer le dossier de Frank Lancaster.

Avant de prendre contact avec lui, Velvet Templeton a travaillé pendant 3 mois dans un cabinet comptable parisien pour retrouver la trace d'une entreprise appelée Titanic Holding, sur laquelle ont enquêté Keller et Lancaster. À partir de là, elle en a retrouvé le comptable qu'elle a manipulé pour pouvoir revenir à New York bien qu'elle soit recherchée par les services secrets. À New York, elle retrouve Maximillion Dark et commence un jeu de dupes, le manipulant en sachant qu'il la manipule. Colt, l'agent anglais, est également à sa recherche. Damian Lake est toujours dans la nature.

Suite et fin de la première histoire mettant en scène Velvet Templeton : elle et Ed Brubaker continuent de jouer un jeu dangereux. le scénariste reste dans le genre espionnage dans les années 1970, en en utilisant les codes et les conventions. Les différents agents secrets clopent à raison d'au moins un paquet par jour, et le plus class fume le cigare. Ils voyagent en avion (un moyen de transport moins accessible à l'époque), ou dans des voitures haut de gamme, et peuvent séjourner sur un yacht privé. L'alcool ne coule pas à flot, mais il est consommé régulièrement. Il arrive que les hommes portent des costumes de marque et que les femmes portent de belles toilettes.

Une partie de l'attrait du récit réside donc dans la recréation de cette époque, par le prisme déformant des déplacements et des actions de ces espions. Comme dans les 2 tomes précédents, Steve Epting apporte un grand soin à représenter les éléments d'époque. Cela se voit immédiatement dans les modèles de voiture, en particulier une belle Pontiac, ou la Triumph de Maximillion Dark. Comme dans le tome précédent, l'intrigue fait en sorte que ces espions se déplacent dans différents endroits du globe. L'artiste s'en donne à coeur joie pour les décrire avec quelques clins d'oeil. Il y a par exemple Maximillion Dark étendu sur sa serviette de plage, avec une dame en bikini blanc qui sort de l'eau, comme Ursula Andress dans James Bond contre Dr No. À plusieurs reprises, un agent secret pointe une arme à feu, le bras tendu, vers son interlocuteur pour le tenir en respect, parfois en pointant son arme directement vers le lecteur. Velvet Templeton fait à nouveau usage de sa combinaison avec des ailes pour planer dans le ciel.

Steve Epting apporte le même soin à représenter les différents endroits, avec réalisme. le lecteur peut ainsi bronzer sur une plage de sable clair, apporter des documents au patron du cabinet comptable, se promener dans Grammery Park, déambuler dans une rue en admirant les affiches pour Aladdin Sane, prendre un repas dans un restaurant de luxe, marcher dans une voie de métro, papoter dans la bibliothèque d'un grand appartement. Ces endroits sont représentés avec des détails les rendant aussi spécifiques que concrets, sans que les dessins ne soient pour autant surchargés. Ils bénéficient de la mise en couleurs naturaliste d'Elizabeth Breitweiser. de manière discrète, elle rend compte de la couleur réelle de chacun des éléments. Elle n'ajoute pas des dégradés pour accentuer le relief de chaque surface (les traits encrés d'Epting étant suffisant), mais elle travaille tout en retenue avec quelques nuances pour rendre compte des variations lumineuses. Elle utilise plutôt des teintes sombres, la majeure partie du récit se déroulant le soir ou de nuit.

Toujours pour rester dans cette veine réaliste, Steve Epting dessine des personnages adultes, dans des postures maîtrisées, sauf bien sûr lors des scènes d'action. Dans ces dernières, il prend soin de représenter des positions possibles et cohérentes avec les mouvements effectués. Velvet Templeton dispose d'une silhouette de personne en bonne forme physique, avec des traits de visage un peu durs, sauf lorsqu'elle est dans une opération de séduction. Elle effectue des gestes mesurés de professionnelle, sans énergie perdue. Elle en impose par son sérieux et ses capacités. En fonction des séquences, l'artiste peut insister un peu sur les traits de son visage ou sur des expressions plus dures pour attester de son âge, un peu plus de la quarantaine. le lecteur n'éprouve ainsi aucune difficulté à croire dans l'existence de cette femme remarquable. Les autres protagonistes sont traités avec le même sérieux et le même professionnalisme. Epting fait attention à montrer que Rachel Tanner est plus jeune, avec une peau de visage plus lisse, et que Damian Lake est plus âgé, avec des rides apparentes. La richesse des dessins n'en obère pas la lisibilité et présente, à la vue du lecteur, un monde bien réel et concret en cohérence avec la nature du récit.

Pour cette troisième partie, Ed Brubaker montre comment Velvet Templeton essaye de démêler le vrai du faux, dans ce monde d'agents secrets, d'agents doubles et d'agents triples, sans parler des supérieurs hiérarchiques aux motivations troubles, et des organisations aux objectifs indiscernables. Pour ce faire, elle n'a d'autre moyen que d'utiliser ceux de ses opposants : la manipulation et la désinformation, en s'appuyant sur des opérations clandestines. le lecteur attend donc d'être mené en bateau, de devoir se méfier de chaque déclaration pour essayer de deviner les objectifs réels sous-jacents, tout comme la protagoniste. Mais il veut également pouvoir comprendre et suivre l'intrigue sans que sa lecture ne se transforme en un exercice intellectuel ardu qui exige de prendre de notes et de faire des diagrammes, en intégrant les variations de ce que savent les personnages au fil du temps passe, sans compter que ce qu'ils savent peut être vrai ou faux. le scénariste réussit à satisfaire les attentes du lecteur, et à conserver un caractère divertissant à son récit, sans devenir fastidieux. Pour ce faire, le lecteur a accès aux pensées de Velvet Templeton dans des phrases brèves présentées dans des petits encadrés. Ainsi il peut comprendre la stratégie de l'espionne, savoir comment elle a évalué la situation (par exemple la fiabilité de Maximillion Dark), et pourquoi elle agit comme elle le fait. Il partage également ses doutes, et son incertitude sur un certain nombre de variables qu'elle ne maîtrise pas.

Ed Brubaker se montre tout aussi adroit dans la narration de son intrigue. Il avait dévoilé dans le tome précédent l'existence d'une conspiration de grande ampleur. Il arrive à la mener jusqu'à son terme, sans qu'elle ne vire au grand n'importe quoi. le lecteur comprend enfin pourquoi il a situé son récit en 1973, avec une explication limpide et évidente. Il écrit son récit avec la froideur voulu par cet environnement cynique et pragmatique des espions poursuivant chacun leur mission, sans trop se poser de question sur leur moralité, ou sur le but final. Il écrit des scènes de dialogue où chaque mot cache forcément 2 ou 3 autres intentions et a pour objectif de manipuler. Les personnages deviennent des pions dans le jeu auquel ils jouent, perdant leur identité, n'ayant plus de valeur, pour les autres comme pour eux-mêmes, que pour leur compétence. L'intrigue est sinueuse à souhait et imprévisible. Les conventions du genre espionnage sont présentes dans toutes leurs caractéristiques, et complètement intégrées au récit le servant plutôt que d'être des fins en soit. le dénouement est intelligible, à la hauteur du suspense, de grande envergure tout en restant parfaitement logique et proportionné au récit.

Ces 15 épisodes forment une histoire complète délicieuse, un hommage aux premiers films de James Bond, avec moins de gadget et avec un personnage principal moins stéréotypé. Ils embrassent toutes les conventions du genre espionnage en les utilisant à bon escient. Steve Epting réalise des planches réalistes, avec une ambiance crépusculaire et des personnages avec un excellent jeu d'acteur. L'intrigue emmène le lecteur dans un monde où tout le monde joue au moins double jeu, toujours plus profond dans un complot aux ramifications mondiales, sans jamais perdre le lecteur, avec des scènes d'action réglées au millimètre près. du grand art !
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