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Critique de isanne


Sur les bateaux qui transportaient les émigrants vers l'Amérique, au début du siècle dernier, lorsque le premier à apercevoir cette terre tant convoitée, tant espérée, criait enfin son nom, ce nom serti de liberté, de l'espoir, tous se levaient, qu'ils soient jeunes en pleine possession de leurs forces, qu'ils soient âgés mais encore endurants, qu'ils soient enfants qui enfin allaient pouvoir galoper en tout sens sur le sol de ce pays, hommes, femmes, exténués du voyage, tous se recueillaient en observant les côtes se rapprocher.
Ils ne doutaient pas qu'il faudrait travailler encore et encore mais au moins espéraient-ils un juste salaire, qu'il leur faudrait ne pas compter le temps de labeur, mais au moins auraient-ils un toit pour leurs enfants et de quoi combler leur faim, ils ne doutaient pas un seul instant que la clémence allait enfin être auprès d'eux...

Et pourtant, combien d'entre eux sont repartis à peine débarqués pour cause de maladie, parce qu'ils souffraient d'un handicap, parce que leur esprit étaient plus agité... Pour combien, le désir d'appartenance à cette terre s'est-il arrêté avant seulement d'avoir débuté. Ils avaient tout espéré, tout attendu et rien ne leur était donné.
Et pour ceux qui débarquaient, la peine qu'ils allaient devoir endurée était tellement linfinie par rapport à ceux qu'ils en avaient imaginé et les rêves de vie sereine allaient être terrassés.


Presque un siècle plus tard, ceux qui sont nés sur le sol américain ont légitimement espéré que leur vie serait à l'image de leur travail, que le salaire serait dûment gagné, qu'ils n'auraient qu'à choisir entre deux mets mais jamais à se préoccuper de savoir comment manger.
Ils ont toujours cru que l'Amérique pourvoirait à leurs besoins, qu'elle les logerait, qu'elle les nourrirait toute leur vie...

Une crise financière ou davantage quand l'économie tremble, la volonté de préserver les financiers plutôt que les petites gens, ajoutée à une crise personnelle comme un divorce, une séparation, la santé qui vacille, la perte de l'emploi, la dévaluation des biens quand les emprunts restent exigés au même taux, il suffit que l'économie d'une telle puissance s'emballe, pour que beaucoup se retrouvent sans rien, privés de tout, privés d'avenir et de sécurité.

A presque un siècle de distance, les mêmes déshérités foulent le sol de l‘Amérique, les mêmes "Hobos" existent, seul diffère leur mode de voyage plus individualiste en ce début de vingt-et-unième siècle.
Ce sont leurs histoires de vie que raconte ce livre, comment ils sont devenus des "Sans adresse fixe" ne prononcez jamais le mot de SDF, qui ils sont, on constate que la population de couleur, pourtant bien indigente sur ce continent n'est guère représentée, ils ne pourraient vivre ainsi toujours en butte aux tracasseries policières ou à la loi impitoyable du travail qui prône la sélection pour un poste, si l'âge n'est plus un facteur pénalisant pour les intérims mal rémunérés, la couleur de la peau ou l'intonation de la voix restent un obstacle insurmontable.
Certains ont connu une économie souveraine et généreuse, même l'opulence, d'autres ont erré de petits jobs et places précaires… Les voici tous devenus semblables : un camion aménagé – c'est déjà beaucoup – et la route pour compagne quotidienne pour aller d'emplois éphémères en travail saisonnier.
A l'arrivée, combien seront élus pour la place convoitée parce on ne peut s'empêcher de penser au récit "Les Raisons de la colère" quand des dizaines de séniors convergent vers les entrepôts d'une firme richissime pour espérer être recrutés pour un labeur qu'ils savent éreintant et usant, pour un salaire dévalué, juste un aumône, pour un renversement des rythmes de vie parce que le travail de nuit permet de gagner un peu plus, alors la peine est déjà telle qu'on peut l'alourdir pour quelques dollars de plus, pour un mois de travail qui leur permettra tout juste de trouver un emplacement pour se remettre de cet esclavage et manger, pas ce qu'ils aimeraient, juste de quoi remplir l'estomac et ne plus l'entendre crier.

On retrouve toujours le mêmes visages au fil des pages, en fil conducteur de cette misère qu'un pays par ailleurs riche ne parvient ou ne désire pas faire disparaître, l'indifférence reste seul guide. D'autres ne sont croisés qu'une seule fois, mais parfois vous toucheront bien davantage. Ils sont résignés ou en colère, pleins d'espoirs ou anéantis, mais toujours ils avancent … vers quoi ? Un peu de dignité qui les fait se tenir debout au milieu de cette Amérique qui cligne des yeux pour ne pas les voir, au milieu des autres citoyens plus chanceux – mais pour combien de temps, jusqu'à quelle crise financière ou personnelle ? - qui les évitent quand ils ne les persécutent pas.

L'Amérique est un territoire en perpétuelle "guerre civile" d'un autre genre, même si elle ne veut pas se l'avouer: ceux qui possèdent contre ceux qui luttent pour survivre, Encore cette guerre est-elle écrite d'avance, ceux qui peinent n'ont pas la force de se battre, ils ne demandent qu'à faire encore un seul pas, un autre encore et c'est déjà tant pour eux.


Un livre extrêmement bouleversant, bien davantage que le film, qui fait sourdre une révolte dans le coeur du lecteur. Un pays ne doit-il pas assistance à ses concitoyens, encre davantage à ses aînés - tous les personnages croisés ont environ soixante ans et pour certains bien davantage. Il faut croire que productivité et le rendement y sont désormais des mots plus valorisés que respect et décence.
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