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Jessica Bruder (Autre)Nathalie Peronny (Traducteur)
EAN : 9782290238165
448 pages
J'ai lu (25/11/2020)
3.98/5   227 notes
Résumé :
“People who thought the 2008 financial collapse was over a long time ago need to meet the people Jessica Les mensonges et la folle cupidité des banquiers (autrement nommée « crise des subprimes ») les ont jetés à la rue. En 2008, ils ont perdu leur travail, leur maison, tout l’argent patiemment mis de côté pour leur retraite.
Ils auraient pu rester sur place, à tourner en rond, en attendant des jours meilleurs. Ils ont préféré investir leurs derniers dollars ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (48) Voir plus Ajouter une critique
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Sur les bateaux qui transportaient les émigrants vers l'Amérique, au début du siècle dernier, lorsque le premier à apercevoir cette terre tant convoitée, tant espérée, criait enfin son nom, ce nom serti de liberté, de l'espoir, tous se levaient, qu'ils soient jeunes en pleine possession de leurs forces, qu'ils soient âgés mais encore endurants, qu'ils soient enfants qui enfin allaient pouvoir galoper en tout sens sur le sol de ce pays, hommes, femmes, exténués du voyage, tous se recueillaient en observant les côtes se rapprocher.
Ils ne doutaient pas qu'il faudrait travailler encore et encore mais au moins espéraient-ils un juste salaire, qu'il leur faudrait ne pas compter le temps de labeur, mais au moins auraient-ils un toit pour leurs enfants et de quoi combler leur faim, ils ne doutaient pas un seul instant que la clémence allait enfin être auprès d'eux...

Et pourtant, combien d'entre eux sont repartis à peine débarqués pour cause de maladie, parce qu'ils souffraient d'un handicap, parce que leur esprit étaient plus agité... Pour combien, le désir d'appartenance à cette terre s'est-il arrêté avant seulement d'avoir débuté. Ils avaient tout espéré, tout attendu et rien ne leur était donné.
Et pour ceux qui débarquaient, la peine qu'ils allaient devoir endurée était tellement linfinie par rapport à ceux qu'ils en avaient imaginé et les rêves de vie sereine allaient être terrassés.


Presque un siècle plus tard, ceux qui sont nés sur le sol américain ont légitimement espéré que leur vie serait à l'image de leur travail, que le salaire serait dûment gagné, qu'ils n'auraient qu'à choisir entre deux mets mais jamais à se préoccuper de savoir comment manger.
Ils ont toujours cru que l'Amérique pourvoirait à leurs besoins, qu'elle les logerait, qu'elle les nourrirait toute leur vie...

Une crise financière ou davantage quand l'économie tremble, la volonté de préserver les financiers plutôt que les petites gens, ajoutée à une crise personnelle comme un divorce, une séparation, la santé qui vacille, la perte de l'emploi, la dévaluation des biens quand les emprunts restent exigés au même taux, il suffit que l'économie d'une telle puissance s'emballe, pour que beaucoup se retrouvent sans rien, privés de tout, privés d'avenir et de sécurité.

A presque un siècle de distance, les mêmes déshérités foulent le sol de l‘Amérique, les mêmes "Hobos" existent, seul diffère leur mode de voyage plus individualiste en ce début de vingt-et-unième siècle.
Ce sont leurs histoires de vie que raconte ce livre, comment ils sont devenus des "Sans adresse fixe" ne prononcez jamais le mot de SDF, qui ils sont, on constate que la population de couleur, pourtant bien indigente sur ce continent n'est guère représentée, ils ne pourraient vivre ainsi toujours en butte aux tracasseries policières ou à la loi impitoyable du travail qui prône la sélection pour un poste, si l'âge n'est plus un facteur pénalisant pour les intérims mal rémunérés, la couleur de la peau ou l'intonation de la voix restent un obstacle insurmontable.
Certains ont connu une économie souveraine et généreuse, même l'opulence, d'autres ont erré de petits jobs et places précaires… Les voici tous devenus semblables : un camion aménagé – c'est déjà beaucoup – et la route pour compagne quotidienne pour aller d'emplois éphémères en travail saisonnier.
A l'arrivée, combien seront élus pour la place convoitée parce on ne peut s'empêcher de penser au récit "Les Raisons de la colère" quand des dizaines de séniors convergent vers les entrepôts d'une firme richissime pour espérer être recrutés pour un labeur qu'ils savent éreintant et usant, pour un salaire dévalué, juste un aumône, pour un renversement des rythmes de vie parce que le travail de nuit permet de gagner un peu plus, alors la peine est déjà telle qu'on peut l'alourdir pour quelques dollars de plus, pour un mois de travail qui leur permettra tout juste de trouver un emplacement pour se remettre de cet esclavage et manger, pas ce qu'ils aimeraient, juste de quoi remplir l'estomac et ne plus l'entendre crier.

On retrouve toujours le mêmes visages au fil des pages, en fil conducteur de cette misère qu'un pays par ailleurs riche ne parvient ou ne désire pas faire disparaître, l'indifférence reste seul guide. D'autres ne sont croisés qu'une seule fois, mais parfois vous toucheront bien davantage. Ils sont résignés ou en colère, pleins d'espoirs ou anéantis, mais toujours ils avancent … vers quoi ? Un peu de dignité qui les fait se tenir debout au milieu de cette Amérique qui cligne des yeux pour ne pas les voir, au milieu des autres citoyens plus chanceux – mais pour combien de temps, jusqu'à quelle crise financière ou personnelle ? - qui les évitent quand ils ne les persécutent pas.

L'Amérique est un territoire en perpétuelle "guerre civile" d'un autre genre, même si elle ne veut pas se l'avouer: ceux qui possèdent contre ceux qui luttent pour survivre, Encore cette guerre est-elle écrite d'avance, ceux qui peinent n'ont pas la force de se battre, ils ne demandent qu'à faire encore un seul pas, un autre encore et c'est déjà tant pour eux.


Un livre extrêmement bouleversant, bien davantage que le film, qui fait sourdre une révolte dans le coeur du lecteur. Un pays ne doit-il pas assistance à ses concitoyens, encre davantage à ses aînés - tous les personnages croisés ont environ soixante ans et pour certains bien davantage. Il faut croire que productivité et le rendement y sont désormais des mots plus valorisés que respect et décence.
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Vous êtes un Américain de la classe moyenne, vous ne pouvez plus rembourser votre crédit immobilier, payer votre loyer, votre retraite sécurité sociale se monte à 500 dollars grand max après une vie de labeur, alors prenez la route , comme vos ancêtres l'ont fait dès que tout va mal.
Vous rejoindrez d'autres ruinés par les frais de santé ou les prêts étudiants, les procédures de divorce aussi. Certains sont revenus de la société de consommation, veulent vivre libres sans attaches, sans factures ou impôts sous le ciel étoilé, en devenant écolos ou décroissants .

Secrétaires, profs, vendeuses, chômeurs de toutes branches, rejoignez cette étrange tribu nomade sans adresse fixe , le cauchemar démographique d'une administration tatillonne qui aime compter des gens qui habitent quelque part. Ils refusent d'être qualifiés de clochards, gitans, hobbos, okies, ou SDF. Ils sont campeurs.

Jessica Bruder fait ici du remarquable journalisme d'investIgation très documenté sur des années et nous livre un croquis humaniste des classes moyennes américaines qui s'appauvrissent et s'adaptent pour survivre. Au delà de la traditionnelle bougeotte des Américains qui sillonnent le continent, il y a depuis la crise de 2008, une population croissante sur roues, des gens dignes qui font contre mauvaise fortune , bon coeur , le fameux positivisme américain.

Elle nous livre des portraits très précis, des récits du parcours de chacun, réalisés sur des années . Ce faisant , nous découvrons la face cachée et le cynisme d'entreprises comme Amazon, Walmart, ou bien celle des parcs de loisirs, des campings dans les parcs nationaux. Petits boulots exténuants mal payés, conditions de travail dantesques pour des personnes souvent âgées de plus de 65 ans .
Des signes de révolte? Pas vraiment, À moins que ce gigantesque terrain de camping que devient l'Amérique ne soit une protestation en soi, une contre culture de refus d'un système qui broie les énergies vitales créatives d'une grande puissance qui se tiersmondise.

C'est un excellent essai, plein d'humanité, une étude sociologique qui nous fait rencontrer des personnes attachantes et ingénieuses qui réinventent de nouvelles solidarités quand tout fout le camp.
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La journaliste et écrivaine américaine Jessica Bruder, qui s'intéresse depuis longtemps au monde du travail et aux «sous-cultures», a longtemps cru que les personnes âgées en camping-car qu'elle croisait étaient des retraités qui profitaient de leur temps libre pour voyager après des décennies de dur labeur, avant de découvrir qu'un grand nombre d'entre eux était sur les routes malgré eux.

Ils ont refait leurs calculs des dizaines, des centaines de fois, souvent tard dans la nuit, en proie aux insomnies. Après la crise financière de 2008, avec le coût élevé du logement et le niveau ridiculement bas des salaires, ils ont dû admettre que l'espoir d'une vie de classe moyenne s'était véritablement envolé. Ils ont dû quitter leur maison pour vivre dans une résidence sur roues après avoir perdu leur logement, toutes leurs économies et l'espoir d'une retraite méritée dans le sillage dévastateur de la crise.

Jessica Bruder a suivi pendant trois ans les traces de ces nouveaux nomades, s'installant finalement elle-même dans un mini-van et s'enrôlant comme eux, en tant que travailleur précaire pour la récolte des betteraves sucrières ou dans les entrepôts d'Amazon, expérience racontée dans ce livre publié en 2017, traduit de l'anglais par Nathalie Peronny pour les éditions Globe (février 2019).

Linda May, une grand-mère de soixante-quatre ans qui a élevée seule ses deux filles, pleine d'empathie et de courage malgré l'accumulation des problèmes, est emblématique de ces seniors (souvent des femmes) isolés sur les routes. Tout au long du livre, du camping de la forêt nationale de San Bernardino (Californie) aux entrepôts d'Amazon, Linda tente de survivre dans sa Jeep Grand Cherokee Laredo, en rêvant d'acquérir un terrain pour y construire sa maison utopique, une géonef, une maison à énergie solaire passive, bâtie à l'aide de matériaux de récupération.

"En 2010, bien avant d'entamer sa vie nomade, Linda May était seule le jour de Thanksgiving dans son mobile home à New River, Arizona. A soixante ans, elle n'avait ni électricité ni eau courante car cela lui coûtait trop cher. Elle ne trouvait pas de travail et ne touchait plus ses indemnités de chômage. La famille de sa fille aînée, chez qui elle avait vécu plusieurs années en enchaînant une série de boulots mal payés, venait d'emménager dans un appartement plus petit. Avec trois chambres à coucher pour six personnes, ils n'avaient plus de place pour l'accueillir. Elle était coincée là, dans son mobile home, privée de lumière et de perspectives."

Linda est l'une d'entre eux et ce qui frappe à la lecture de «Nomadland» est la diversité des niveaux d'étude et des trajectoires de vie de ces faux nomades américains, trajectoires si facilement fragilisées en l'absence d'un filet de protection sociale. Dans la détresse, leurs points communs sont un incroyable courage, leur lutte pour la dignité, pour ne pas être rabaissés au rang de râleurs ou de profiteurs, et leur volonté de refaire société, en créant une communauté d'entraide et d'astuces partagées, en cherchant à transformer leur situation de grande détresse en une vision de liberté, même mince, restes en lambeaux du mirage éventé du rêve américain.

Jessica Bruder souligne qu'il n'existe aucun chiffrage précis du nombre de nomades aux Etats-Unis, bête noire du démographe, mais grâce à son livre précis, juste, poignant, elle donne visages et voix à ces travailleurs itinérants, hobos motorisés sans la dimension romantique du mythe américain, qui sillonnent les états en quête d'un travail saisonnier : récolte des betteraves sucrières dans le Dakota du Nord ou des pommes dans l'état de Washington, gardiennage et entretien de campings dans les parcs nationaux, animation de stands en bord de route, détecteurs de fuite sur les gazoducs ou travailleurs saisonniers dans les entrepôts Amazon, etc.

Un fil rouge de ce livre est le programme tentaculaire de recrutement d'Amazon, CamperForce, pour recruter des travailleurs, la plupart du temps des seniors, pour travailler dans leurs sites logistiques (qui s'appellent, ironiquement, des « centres d'exécution ») pendant la période des fêtes de fin d'année. Les conditions y sont harassantes, rendues supportables uniquement par l'absorption de hautes doses d'antidouleurs.

"« C'est la première fois que j'effectue un travail d'ouvrière. Je le respecte bien plus qu'avant », m'a confié Linda Chesser, une ancienne conseillère académique de la Washington State University. Elle étendait pour qu'ils sèchent des tee-shirts près de la laverie du camping, vers la modeste bibliothèque où des fleurs sauvages poussent dans les trous d'un puzzle inachevé de mille pièces. Âgée de soixante-huit ans, elle remerciait chaque jour l'inventeur de l'ibuprofène : « J'en prends quatre avant de partir au boulot le matin et quatre en rentrant le soir. » Mais pour certains, l'ibuprofène ne suffisait pas. Karren Chamberlen, ancienne conductrice de bus âgée de soixante-huit ans et affublée de deux prothèses de hanche, m'a racontée qu'elle avait dû quitter CamperForce au bout de cinq semaines car ses genoux ne supportaient pas les heures de marche sur un sol en ciment. Lors d'une visite dans un autre campement Amazon (le Big Chief RV Park à Coffeyville), j'ai fait la connaissance de Kenny Harper, qui démissionnera peu de temps après. Plus tard, dans un mail, il m'a expliqué que son « rotateur gauche refusait de faire ce job ». D'autres travailleurs m'ont parlé de « doigt à ressaut », une pathologie du tendon liée notamment à l'usage répété de la scannette."

La précarité contamine tout dans la vie de ces nomades, embauchés comme travailleurs saisonniers ou journaliers, qui effectuent souvent des semaines de 40 heures ou bien davantage, pour des salaires horaires réels parfois aussi bas que 5$ et qui, entre deux contrats, cherchent refuge sur les derniers lieux gratuits de l'Amérique, les parkings.

Comme Christian Garcin l'avait fait sous forme romanesque pour une poignée d'humains rejetés par les courants contraires aux marges de la société dans «Les oiseaux morts de l'Amérique» (Actes Sud, 2018), comme Florence Aubenas dans son enquête «Le quai de Ouistreham» (L'Olivier, 2010), Jessica Bruder rend visible une classe d'oubliés que beaucoup de villes américaines voudraient rendre invisibles, et démonte sans démonstration, grâce à ce journalisme d'immersion sensible et plein de tact, les mécanismes de la chute et de l'exploitation de ces individus fragiles pour lesquels le nomadisme apparaît comme le dernier recours.

"Les Apperley n'étaient pas les seuls membres de CamperForce à avoir vécu la saisie de leur bien immobilier. J'ai parlé avec des dizaines de travailleurs-campeurs au Nevada, au Kansas et dans le Kentucky. Tous avaient eu de gros problèmes d'argent. J'avais parfois l'impression de me rendre dans des camps de réfugiés de la récession, des lieux de la dernière chance où échouaient les citoyens américains ostracisés du marché traditionnel du travail par la fameuse « reprise sans emploi ». A d'autres moments, j'avais l'impression de m'adresser à des prisonniers, au point que j'étais presque tentée de couper court aux amabilités d'usage pour leur demander carrément : « Et vous, vous êtes tombés pour quoi ? »"

Retrouvez cette note de lecture et et beaucoup d'autres sur le blog Charybde 27 ici :
https://charybde2.wordpress.com/2019/03/06/note-de-lecture-nomadland-jessica-bruder/
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Ça commence vraiment très bien. On suit une femme qui a dépassé la soixantaine au volant de son van qui parcours les États-Unis dans tous les sens à la recherche d'un emploi saisonnier. Comme beaucoup d'autres personnes qui ont tout perdu lors de la crise des subprimes en 2008, et dont la retraite ne suffit pas pour vivre, elle végète pour quelques dollars de l'heure, soit en gardienne de camping, soit en saisonnier chez Amazon ou autre. On assiste au ballet de ces nouveaux laissés pour compte de la société. C'est l'illustration de la fin de l'American way of life, si c'était encore à démontrer. On pourrait faire une fois de plus le procès de l'idéologie capitaliste mais je ne suis pas sûr que ce soit utile tant la majeure partie de monde fonctionne encore sur ce modèle économique. Et de toute façon il n'y en a pas d'autres actuellement. Alors ces pauvres bougres se réunissent sur d'immenses terrains pour partager leurs déboires, leur misère, mais aussi leurs joies et leur plaisir de se retrouver. Cependant, je suis arrivé à peu près aux 2/3 du livre. Et j'y trouve énormément de redondances. La journaliste a réalisé une enquête exhaustive de ce phénomène de paupérisation mais qu'il est fastidieux parfois de suivre tant tout est très précis et déjà dit dans les pages précédentes. Cependant, à lire pour savoir.
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Dans Nomadland, Jessica Bruder dresse le panorama d'une nouvelle middle-class américaine poussée par la crise de 2008 à devenir nomade pour subsister. Maisons vendues au mieux, saisies par les banques au pire, avec une retraite bien maigre en poche lorsqu'ils sont retraités – ce qui est le cas de la majorité de cette population -, il ne reste qu'à se procurer une maison sur roues – van, caravane, voiture… - et de suivre les routes du pays pour trouver du travail saisonnier selon les états qui en éprouvent la nécessité. Ces nouveaux Okies – terme à l'époque péjoratif faisant référence à tous les fermiers de l'Oklahoma partis chercher du travail en Californie après la crise de 29, symbolisés magistralement par Les raisins de la colère de Steinbeck – font notamment la manne d'Amazon, qui y trouve une main d'oeuvre bon marché, corvéable à merci, qui n'hésite pas à travailler des heures durant sans pause. Ils font aussi la manne de toutes sortes d'activités saisonnières dans les parcs d'attraction, les campings… dans lesquels ils travaillent également beaucoup pour peu.

Partant de témoignages et de rencontres faites sur le terrain, la journaliste va finir par s'immerger pleinement dans ce monde en devenant elle-même nomade, avec l'achat d'un van, Halen, et en allant éprouver les conditions de travail de ses compagnons de route chez Amazon – elle n'y restera pas longtemps. Nomadisme à relativiser certes, puisqu'éphémère dans son cas, et choisi dans le cadre de son reportage – qui durera malgré tout 3 ans – , mais nomadisme qui lui permet de vraiment se faire accepter par ces hobos 2.0. En effet, ce qui est au départ contrainte pour nombre d'entre eux devient nouvelle vie acceptée comme telle, où la solidarité, l'entraide, l'amitié entre travellers proposent une nouvelle conception du monde, plus proche de l'Homme que de l'Objet, devenu prioritaire dans son existence ultracapitaliste – paradoxalement, c'est chez Amazon que les travellers se feront le plus d'argent… A l'image de Linda May, 69 ans, au coeur de toute l'enquête de Jessica Bruder, symbole de ces nouveaux voyageurs qui repensent toute leur vie d'abord pour subsister puis, quand ils y parviennent, pour vivre mieux.

J'avais bien conscience de tout ce qui est évoqué dans ce récit, mais sa lecture n'en a pas moins été édifiante et riche en enseignements. C'est un véritable reportage au long cours, en immersion totale, comme je les apprécie.
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critiques presse (2)
Actualitte
05 mars 2019
Mêlant récits de voyage, citations, photos et rencontres en forme de portraits, ce texte est une plongée émouvante d’authenticité dans la réalité parallèle de ces retraités qui ne peuvent se permettre de le rester.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Telerama
27 février 2019
La journaliste Jessica Bruder a sillonné les routes américaines pendant trois ans à la rencontre des travailleurs nomades ruinés par la crise de 2008. Et en a fait un livre, Nomadland, portrait sensible d’une classe moyenne qui a sombré dans le précariat et qui vient d’être adapté au cinéma par Chloé Zhao.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (50) Voir plus Ajouter une citation
" Autrefois, il existait un contrat social stipulant que si vous respectiez les règles ( aller à l'école, trouver un boulot et travailler dur), tout se passerait bien pour vous, leur expliquait-il. Cela n'est plus vrai, de nos jours. Vous pouvez jouer le jeu, exactement comme la société vous le demande, et vous retrouver quand même fauché, seul et à la rue."
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Le film Nomadland vient tout juste de rafler deux oscars. Il nous faudra encore un peu de temps pour le voir chez nous, donc à ce jour, pas moyen de savoir s'il sera aussi fort que ce bouquin.

L'auteure a fait un vrai travail d'ethnologue. Elle ne s'est pas contentée d'aller interviewer quelques-uns de ces workampers, obligés de vivre dans des caravanes, de vieux camping-cars, voire même sous une tente. Et de se déplacer au gré des petits boulots qui leurs sont "réservés": cueillir des betteraves, entretenir les sanitaires dans les campings, ou pire, préparer les commandes Amazon. Comment en sont-ils arrivés là? Un petit accident de la vie, un divorce, une maladie,... et surtout la funeste crise des subprimes de 2008, qui a fait fondre leur capitaux, et les a obligés à revendre leur maison, à perte.

Peu ou pas de retraite, mais pour les Américains si on est improductif on ne mérite pas de vivre. Alors, ils travaillent. Amazon et d'autres employeurs touchent des subventions pour les employer, à 10 euros de l'heure, ou même moins. Ils parcourent 15 à 30 km par jour pour stocker des produits qui vont finir à la poubelle. Amazon vante leur professionnalisme, leur fiabilité, et leur offre des tee-shirts au logo du programme Camperforce. Pour les attirer, on leur permet de stationner gratuitement à côté de leur lieu de travail, et on leur vante la possibilité de se faire des amis... Possibilité toute relative quand on est épuisé par ces travaux pénibles.

Mais le livre évite le piège du misérabilisme. Linda, Don, Silvianne, tous sont attachants, à leur manière. Le récit entremêle de façon vivante la description clinique de ces conditions de travail et de vie difficiles (camper sur un parking n'a rien de folichon) avec les paroles enjouées de ces personnages, qui font bon gré mal gré bonne figure.

Nouvelle incarnation du mythe américain, ou repoussoir? Là-bas comme ici, pourtant, il n'est pas bien vu d'être SDF. Garer sa voiture dans la rue, occuper ainsi l'espace, c'est normal... à condition de ne pas y dormir. À fin 2014, plus de 100 villes états-uniennes avaient interdit de s'asseoir au bord du trottoir. Bienvenue dans le pays où tout est possible!
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"Je m'intéresse moins au poids et aux circonvolutions du cerveau d'Einstein qu'à la quasi-certitude que des gens aux aptitudes similaires ont vécu et trouvé la mort dans des champs de coton et des ateliers insalubres", disait l'écrivain Stephen Jay Gould.

Le creusement des inégalités paralyse la mobilité sociale. On assiste de facto à l'émergence d'un système de castes. Non seulement c'est inacceptable sur le plan moral, mais aussi et surtout c'est un énorme gâchis. Priver tout un pan de la population d'ascenseur social équivaut à priver la société d'immenses réserves de talents et d'intelligence. En outre, comme on le sait, c'est aussi un frein à la croissance économique.

L'outil le plus largement répandu pour calculer les inégalités de revenus est une formule vieille d'un siècle appelée le coefficient de Gini. C'est la référence absolue des économistes inter nationaux, mais aussi de la Banque mondiale, de la CIA et de l'OCDE. Ce qu'il nous révèle est effrayant. Aujourd'hui, les États-Unis affichent le plus fort taux d'inégalités sociales de toutes les nations développées. Le niveau d'inégalités y est comparable à celui de la Russie, de la Chine, de l'Argentine et de la République démocratique du Congo, un pays ravagé par la guerre. Et si cette situation est déjà terrible, elle est vouée à empirer. Je m'interroge, donc : quelles autres mutations - ou contorsions - du tissu social apparaîtront dans les années à venir? Combien d'individus seront broyés par le système, et combien trouveront le moyen d'y échapper?
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Les workampers sont des travailleurs mobiles modernes qui acceptent des jobs temporaires aux quatre coins des États-Unis en échange d’une place de stationnement gratuite (généralement avec accès à l’électricité, à l’eau courante et évacuation des eaux usées), voire parfois d’une obole. On pourrait penser que le travailleur-campeur est une figure contemporaine, mais nous appartenons en réalité à une tradition très ancienne. Nous avons suivi les légions romaines, aiguisé leurs épées et réparé leurs armes. Nous avons sillonné les villes nouvelles des États-Unis, réparé les horloges et les machines, les batteries de cuisine, bâti des murs en pierre en échange d’un penny les trente centimètres et de tout le cidre qu’on pouvait avaler.
Nous avons suivi les vagues d’émigration vers l’ouest à bord de nos chariots, munis de nos outils et de nos savoir-faire, aiguisé des couteaux, réparé tout ce qui pouvait l’être, aidé à défricher la terre, à construire des cabanes, à labourer les champs et à rentrer les récoltes en échange d’un repas et d’un peu d’argent de poche, avant de repartir vers le prochain boulot. Nos ancêtres sont les romanichels. Nous avons troqué leurs roulottes contre de confortables autocars et autres camping-cars semi-remorques. À la retraite pour la plupart, nous avons complété notre éventail de compétences d’une carrière dans l’entreprise. Nous pouvons vous aider à gérer un business, assurer la vente en magasin ou la logistique dans l’arrière-boutique, conduire vos camions et vos grues, sélectionner et emballer vos produits à expédier, réparer vos machines, bichonner vos ordinateurs et vos réseaux informatiques, optimiser votre récolte, remodeler vos jardins ou récurer vos toilettes. Nous sommes les technoromanichels.
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l'Amérique n’est pas tendre envers ceux qui adoptent le mode de vie nomade, quelle que soit leur couleur de peau...et à une époque où les afro-américains, même non armés, se font régulièrement tirer dessus par la police lors des contrôles routiers, vivre dans son propre véhicule apparaît comme un pari dangereux pour toute personne potentiellement victime de profilage racial. P. 221
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