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Critique de JLBlecteur


Premier janvier 1898, nuit de goudron sur la décharge de la croix rousse, haut quartier des célèbres canuts qui se dispute le sommet de ce coin de ciel de France avec la basilique Notre-Dame de Fourvière, la tour crayon n'ayant pas encore écrit son empreinte moderne dans Lyon, capitale des Gaules.

Lyon, la capitale dégueule quotidiennement son lot de vieux journaux, les torchons de la veille que récupèrent, harassés, les chiffonniers dès potron-minet pour les revendre aux imprimeries qui, déjà, avant l'heure des verts partis écologistes, recyclent son papier ad libitum.

Seulement ce matin là, c'est le jeune corps sans tête d'un garçon d'une dizaine d'années vêtu d'une robe de fille que débusque Pierre Démange à la place de la presse locale ardemment recherchée.

Un corps sans face sous la pile de papier !

Macabre découverte qui va déposséder la maréchaussée de son annuel jour de congé. Congédié le férié.

Le commissaire Soubielle, récemment arrivé en ville et ses sbires sont chargés de l'enquête qui va nous permettre une lugubre introspection minutieuse du Lyon du 19ème finissant.

L'époque est encore aux rapports rédigés à la plume trempée dans l'encrier mais déjà aux premiers tramways qui grimpent les rues escarpées et aux miliciens d'extrême droite qui, sur les quais de Saône, en réunion, vitupèrent et maudissent juifs, étrangers et syndicats naissants.

En tournant les pages de ce polar historique, on pataugera dans les fangeux dédales obscurs et les bouibouis mal famés des basfonds de la cité à tenter de débusquer les pervers patentés.

On verra fondre au noir des plus sombres le condé engagé, et dans une double vie, et dans un activisme politique déviant vers une idéologie nauséabonde qui a  malheureusement toujours le vent mauvais (comme dit si bien Verlaine) en poupe aujourd'hui.

On entendra siffler le train des balles qui feront gronder des tempêtes sous des crânes perforés par l'ogive si parfaitement usinée.

On assistera, médusés et impuissants, à des pratiques policières que notre rigoureuse époque réprouverait en vociférant à grands cris d'orfraies avec un empressement médiatiquement relayé et scandalisé.

La misère la plus sale et les moeurs les plus sordides projetteront leurs noirs desseins sur les écrans sombres de nos nuits hantées par ces vies détruites dès leur plus jeune âge par les bas instincts d'une humanité qui n'en est plus une et qui heurtera notre coquet confort contemporain pourtant pas si lointain des années retracées ici.

Des miasmes, du sang, du foutre, des fluxes et refluxes corporels viendront éclabousser notre inconscient subitement éclairé par les becs de gaz incandescents braqués sur les bas quartiers populaires et défavorisés de la ville pourtant symbole de haute gastronomie et de savoir-vivre.

Au diable la rosette tentatrice ou la quenelle sauce Nantua, ici on se damne non pour un met fin et réputé mais pour seulement survivre parmi rats et poux.

On naviguera bouche bée et sans vue dans les commissures de la presqu'île dans le sillage d'une police gangrenée par des idées âcres infusées par l'affaire Dreyfus qui enflamme et divise la nation. Sans honte et sans retenue, ces idées délétères serpentent et s'immiscent par les étroits boyaux des couloirs des commissariats d'arrondissement.

On mènera l'enquête, croisant ici hélas : trognes et cancrelats, politiciens véreux et mains baladeuses, artistes ratés et apothicaires pochtronnés, flics corrompus et chiens battus, corps sans tête ou sans mains et exhibitionnistes désinhibés, pédophiles répugnants et assassins sans scrupules, une galerie de porcs, traits pour traits typiques des fantasmes accrochés à ces faubourgs abandonnés d'alors et pas encore gentrifiés.

Choquant toujours, scabreux parfois, le récit oscille entre ‘les misérables' et ‘Vidocq' pour nous restituer la noirceur de charbon d'une époque pas si lointaine finalement et pourtant enfouie.

Un roman sinistre et d'une noirceur insondable qui pourra rebuter par les descriptions cruellement réalistes dont sont constitués certains paragraphes comme par la nature profondément abjecte de certains personnages qui pourraient faire passer le couple Thénardier de Hugo pour des créatures évanescentes de la comtesse De Ségur.

Pour lecteurs avertis tout de même  !
 
 
 
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