La folie
Baudelaire ! C'est
Sainte-Beuve qui, pour évoquer la candidature (surprenante) de
Baudelaire à l'Académie française (sa demande sera refusée), usa de ce terme pour qualifier son oeuvre. Je ne peux éviter de le citer tant ce passage est remarquablement formulé : « En somme, M.
Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité d'une langue de terre réputée inhabitable et par-delà les confins du romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais coquet et mystérieux, où on lit de l'
Edgar Poe, où l'on récite des sonnets exquis, où l'on s'enivre avec le haschisch pour en raisonner après, où l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans des tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, fait en marqueterie, d'une originalité concertée et composite, qui, depuis quelques temps, attire les regards à la pointe du Kamtchatka romantique, j'appelle cela la folie
Baudelaire. L'auteur est content d'avoir fait quelque chose d'impossible, là où on ne croyait pas que personne pût aller. »
Voici donc le propos de ce bel essai : la description de cette folie
Baudelaire. Pour l'entreprendre, Calasso s'est nourri bien entendu de l'oeuvre même de l'auteur ainsi que de sa
correspondance. Mais il la développe par une divagation heureuse sur les artistes de son temps qui l'inspirèrent ou l'irritèrent. C'est ainsi que, pour évoquer la création Baudelairienne, Calasso nous plonge dans l'atelier de Degas, d'Ingres ou de Manet. Cette façon de laisser l'avantage à la pensée plutôt que borner sa réflexion par des principes plus rigoureux est en parfaite adéquation avec le style de
Baudelaire dans ses notes critiques. Calasso ouvre ainsi des espaces, permet au lecteur de passer d'un lieu à un autre, d'un artiste à un autre et d'un art à un autre, tissant au final ce paysage grandiose et inquiétant à la pointe de ce Kamtchatka romantique.