Je baissai les yeux vers les pages de mon cahier couvertes de lignes griffonnées et remerciai le ciel de m'avoir donné une passion autre que la futile chasse au mari. (...) Si je ne pouvais dominer l'amour, je pouvais dominer mes mots, et j'avais bien l'intention d'exploiter cette faculté.
J'aurais tant voulu que les mots que j'avais écrits se concrétisent, qu'ils transforment cette réalité si triste, mais ce ne serait jamais le cas.
Depuis presque deux heures je contemplais le marronnier devant la fenêtre de ma chambre. Mère et Mae mettaient le couvert pour le déjeuner. J’entendais la porcelaine s’entrechoquer et leurs rires, et je sentais l’odeur du lard qui s’échappait du ragout de haricots rouges réchauffé. Je pressai mon crayon sur le papier, comme si cela pouvait forcer les mots à venir. En vain. J’étais censée écrire pour The Review un article sur les Preakness Stakes qui devaient se dérouler prochainement au champ de courses de Morris Park. Mais j’étais incapable de rester concentrée. C’était le jour du mariage de Charlie. Dans quelques heures, il serait le mari d’une autre, et la possibilité de sauver notre amitié serait balayée. Espérant qu’au dernier moment il changerait d’avis et reviendrait me chercher, j’avais trouvé des prétextes pour demeurer à la maison toute la semaine. Hélas, il était évident que je me trompais. Peut-être était-ce mieux ainsi. Notre relation avait été passionnelle, ponctuée de disputes suivies d’excuses. Mais, aveuglée par mon chagrin d’amour, j’avais oublié nos querelles, notre immaturité.