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Critique de nilebeh


La conjoncture actuelle (avril 2020 : COVID 19, terrible pandémie) pousse apparemment beaucoup de lecteurs à (re)lire La Peste et notre amie Sandrine57 crée pour avril une lecture commune de cette oeuvre sur Babelio. Je reprends donc un livre que j'ai lu lors de mon année de philo, il y a.....quelques décennies ; lecture qui, à cette époque m'avait rebutée en particulier en raison de la typo très petite (alors aujourd'hui...imaginez-vous!) et de son caractère dense et touffu pour ce qui concerne l'impression.

Je n'ai pas changé : je n'aime toujours pas les livres écrits petit et peu aérés. Mais j'ai plus de constance qu'à dix-sept ans !


Nous sommes à Oran, en 1941 apparemment, et un mal étrange s'est emparé de la ville. le docteur Rieux évoque des événements aussi traumatisants qui eurent lieu à Canton, à Constantinople (en 1871) où, selon Procope, il y aurait eu dix mille morts en un jour.

A Oran, un arrêté préfectoral interdit le courrier, confine les gens intra - muros, place les malades et leur famille en quarantaine. Les morts sont d'abord inhumés, de nuit, dans le cimetière vite devenu trop étroit. On va donc créer des fours crématoires et brûler les corps, hommes et femmes mêlés. le rite musulman n'est plus respecté, le rite chrétien, à peine. Les tramways ne transportent plus de voyageurs mais des cadavres par centaines : l'évocation des camps nazis et des trains qui y menaient est claire.

La peste se propage via les rats, qui contaminent les puces qui infectent l'homme. On attend les doses de sérum qui arrivent par avion, trop lentement, trop peu nombreuses. L'administration n'a pas pris la mesure de l'épidémie.

Si le déroulé des événements nous intéresse - encore plus actuellement - c'est le comportement des hommes qui retient l'attention. Point de héros dans ce roman, juste des hommes qui, depuis leur condition éphémère, essaient de vivre. Certains veulent sauver leur peau voire s'enrichir de la peste (tel Cottard, intéressant par sa philosophie de l'instant; d'autres, comme Rambert, commencent par privilégier leurs aspirations légitimes (rejoindre sa femme en France) avant de devenir des acteurs efficaces de la lutte contre la maladie. Rambert, le journaliste, sera chargé de diriger une maison de quarantaine. Tarrou remplit des carnets, devient le confident du docteur . Il est surtout la voix d'Albert Camus, notamment dans sa prise de position contre la peine de mort. Il évoque son père sous les traits d'un juge qui envoie à la guillotine un « hibou rouge », petit homme roux meurtrier. Il est curieux qu'il ait placé son père dans ce rôle, lui qui était résolument anti peine capitale. La relation Albert-Lucien Camus semble avoir été compliquée.

Des thèmes reviennent, comme l'organisation tatillonne et plus ou moins efficace de l'administration (on fait des fiches, on est sûr ainsi de ne pas mélanger les inhumations d'humains et de chiens, dit-il, ironique) ; le choix de l'homme devant sa vie, sa responsabilité ; Oran, ville dite « grise et jaune » « aux rues noires »  mais étonnamment, les Algériens natifs sont absents de cette évocation, si ce n'est lors d'un passage sur les inhumations.

Et quant aux scènes marquantes, j'ai bien sûr en tête la mort du fils du juge mais aussi celle, extraordinaire, de l'effondrement, bras et jambes écartés par les bubons, du danseur interprétant le rôle d'Orphée sur la scène de l'Opéra. Il faudrait un Degas machiavélique ou un Toulouse-Lautrec déchirant pour le peindre.

Je crois que je pourrais écrire encore et encore sur ce livre plus que marquant. Je n'exclut pas d'y revenir encore, sous forme d'extraits cette fois, relevés au fil de ma lecture, pour réfléchir encore à la place de l'homme dans ce monde, à son niveau d'investissement et d'acceptation dans l'inacceptable ; peut-être aussi à l'empreinte laissée sur chacun par l'épidémie, tandis que d'aucuns annoncent que rien ne sera plus jamais comme avant le Covid 19. Je crains que beaucoup, égoïstes avant, un peu plus altruistes pendant, ne redeviennent ceux qu'ils étaient : intéressés surtout par eux-mêmes.

Difficile de garder foi en l'homme.
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